Critique du film Signes de vie

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Premier long métrage de Werner Herzog, tourné en 1968, Signes de vie suit un groupe de soldats allemands en Crète, lors de la Seconde Guerre Mondiale. Une œuvre particulièrement puissante, à la beauté contemplative, se penchant déjà sur une thématique qui sera chère au cinéaste munichois : l’aliénation.

Folie exotique

Avec ses premières minutes où l’unique voix sera celle du narrateur, en off, Signes de vie ressemblerait presque à un documentaire sur l’occupation des troupes allemandes en Crète. Lui-même en exil, Herzog filme et capture les paysages et détails du quotidien avec le regard avide d’un touriste passionné. La musique, jouée au traditionnel bouzouki, creuse cet exotisme qui n’a pourtant rien d’une carte postale, car quelque chose se produit derrière les images, ou plutôt se cache dans l’image même, où le mystère – où le mysticisme ? – est confondu avec la nature même d’un cadre. Notion mise en avant lorsque l’un des soldats tente à plusieurs reprises de déchiffrer le grec gravé dans une pierre sans espace ni ponctuation, devenant alors qu’une suite de lettres dont le sens est imperceptible, si ce n’est par bribes, d’autant plus pour un allemand. Parachutiste gravement blessé à la tête, Stroszek (génial Peter Brogle, dont la carrière cinématographique ne décollera jamais) est envoyé avec deux autres soldats dans une ville sans résistance, afin de garder un château servant de dépôt de munitions. Une mission pour que ces trois hommes, sortis de l’hôpital, se remettent sur pied. Clémence de sa hiérarchie, Stroszek a pu se marier avec Nora (Athina Zacharopoulou) qui l’avait soigné et qui l’accompagne dans cette tâche sans risque, si ce n’est de tomber dans un terrible ennui qu’illustre magnifiquement Herzog. Soldats en stationnement, dans une ville où quasiment personne ne parle allemand, le groupe s’enlise dans des activités qui n’arrivent pas à tuer le temps : fabrication de feux d’artifice, hypnose d’une poule, partie de pêche, …

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S’oppose alors à l’aspect documentaire du film une étrangeté sourde, venant du personnage central de Stroszek dont la psyché s’emballe, coupé de sa mission primaire de soldat – et peut-être victime de séquelles. Dans une séquence hallucinée, où une armée de mouches sature l’espace sonore, les plans plongeront le film dans une autre dimension, référents directs au troublant titre du film, Signes de vie. Ces plans chimériques sont pourtant d’une grande simplicité, mais le jeu sur le son et la lumière – photo magnifique de Thomas Mauch – transforme tout : Stroszek aux côtés de son épouse dans sa robe de mariée, un groupe de chats aussi mignons que terrifiants, deux oiseaux en bord cadre, des vestiges antiques ou encore des reflets solaires au-dessus d’un banc de poissons. Signes d’une perte de contact avec le réel ou bien d’une prise de conscience, de l’acquisition d’une sorte d’extra-lucidité du personnage de Stroszek ? Le film bascule lors d’une simple mission de patrouille, réclamée aux supérieurs afin de contrer l’ennui souverain. Après une longue marche sous un soleil de plomb, Stroszek et son frère d’armes rencontrent des paysans qui leur offriront de l’eau, et dont la jeune fille les gratifiera d’une étrange chanson. Encore une fois, dans ce contact simple se produit un phénomène étrange et impalpable, choc culturel d’une douceur énigmatique. La vision d’un vaste champ d’éoliennes plonge alors Stroszek dans un état second dont il ne sortira jamais ; le soldat prendra alors le contrôle du fort abritant suffisamment de T.N.T. pour endommager toute une partie de la ville. L’intelligence de Werner Herzog réside dans un changement de point de vue brillant, plus jamais le spectateur ne sera en compagnie du soldat aliéné, mais de l’autre côté des remparts, entre crainte et fascination – merveilleux instants où Stroszek tire des feux d’artifice.

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La folie qui s’est emparée de Stroszek n’est partagée que de l’extérieur, après avoir vu et vécu ce qui a conduit le personnage dans cet état spectaculaire et fascinant. Sonder la route vers l’aliénation pour mieux l’observer avec distance, tel est le cheminement génial de Signes de vie, sachant conserver le mystère sans provoquer la frustration, et par cette même gestuelle, ouvrir aux interprétation multiples. Stroszek est autant un héros subit et déchu s’opposant à la présence armée qu’un fou furieux cherchant à s’ériger au-dessus de la condition humaine. Et jusqu’au bout, c’est le lieu même qui donne toute la saveur et la texture de ce premier long métrage remarquable, signe d’une future carrière aussi riche que diversifiée pour son jeune auteur.

4 étoiles

Signes de vie sera à (re)découvrir dans le coffret Werner Herzog Volume 1, distribué par Potemkine Films à partir du 4 novembre 2014.

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Signes de vie

Film allemand
Réalisateur : Werner Herzog
Avec : Peter Brogle, Wolfgang Reichmann, Athina Zacharopoulou, Wolfgang von Ungern-Sternberg
Titre original : Lebenszeichen
Scénario de :
Durée : 91 min
Genre : Drame

 

Article rédigé par Dom

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