Critique : Shutter Island (Martin Scorsese)

Shutter Island
Film américain
Réalisateur : Martin Scorsese
Avec : Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Michelle Williams, Max von Sydow, Emily Mortimer
Scénario de : Laeta Kalogridis (adapté du roman de Dennis Lehane)
Directeur de la photographie : Robert Richardson
Monteuse : Thelma Schoonmaker
Durée : 138 mn
Genre : Thriller, Drame
Date de sortie en France : 24 Février 2010

 

 

 

Synopsis :
En 1954, deux marshals, Teddy Daniels (Leonardo DiCaprio) et son coéquipier Chuck Aule (Mark Ruffalo), sont envoyés sur l’île de Shutter Island, abritant un hôpital psychiatrique digne d’une prison de haute sécurité, pour enquêter sur l’étrange disparation d’une patiente.
Bande Annonce (VO) :


Critique
2005. C’est la dernière année où Martin Scorsese nous a présenté un long-métrage « neuf » (The Aviator), neuf dans le sens où The Departed (Les Infiltrés) n’était qu’un remake de l’excellent Infernal Affairs de Andrew Lau et Alan Mak. Remake à la limite du copier / coller (pomme C / pomme V pour les fidèles du Mac). Le réalisateur new-yorkais n’était pas inactif pour autant, loin de là ; en 2008, il immortalisa un concert des Rolling Stones avec le très appréciable Shine a Light.
C’est donc avec une excitation justifiée que l’on attendait ce nouveau film, marquant la 4ème collaboration Scorsese / DiCaprio.
Bienvenue à Shutter Island.
Shutter Island est à l’origine, un roman de Dennis Lehane, dont l’oeuvre a été porté au grand écran à deux reprises auparavant avec Mystic River de Clint Eastwood et Gone Baby Gone de Ben Affleck.

Je n’ai pas eu l’occasion d’avoir le bouquin entre les mains, par conséquent, je ne ferai aucun parallèle avec le livre.

Teddy Daniels rencontre son nouveau coéquipier, Chuck Aule, sur le bateau en direction de Shutter Island et l’on apprend dans la foulée que Teddy a perdu sa femme dans l’incendie de leur appartement. Ainsi s’ouvre Shutter Island. Nous débarquons sur l’île en compagnie de ces deux flics sous une musique pesante qui accentue le malaise donné par le cadre pluvieux.
Car l’arrivée crée une tension remarquable par sa mise en scène, certains diront que tout est surfait, cependant, le film donnera une justification à cette introduction plus tard.
Si l’île apparaît comme un lieu dont on ne s’échappe pas à la nage, l’hôpital psychiatrique, Ashecliffe, qui s’y étend montre qu’on ne quitte pas son enceinte comme on ferait le mur à l’école ; le barbelé électrifié et l’omniprésence de matons armés nous montrent que les criminels psychopathes ne sont pas traités à la légère. Ce qui amène les deux enquêteurs ici, c’est la disparition improbable de Rachel Solando (Emily Mortimer), mère coupable d’infanticide qu’elle n’a jamais reconnu et qui croit vivre à son domicile au sein de l’hôpital.
L’enquête va s’avérer difficile par le manque de collaboration caractéristique du personnel de l’asile, et plus particulièrement du psychiatre en chef, le Dr. Cawley (Ben Kinglsey). Alors que le seul indice est un message retrouvé dans la chambre (ou plutôt cellule) de la patiente, le film va rapidement basculer dans une dimension qui dépasse l’enquête.
La densité du récit : barrage émotionnel.
On accuse parfois certains thrillers d’être trop simple, ce n’est pas le cas de Shutter Island. Teddy est hanté par la mort de sa femme, qui apparaît régulièrement lors de cauchemars, ainsi que les souvenirs des atrocités vécues lors de la libération du camp de Dachau à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ce flic aux méthodes parfois discutables, ne manque pas de profondeur, surtout lorsque l’on découvre qu’un pyromane du nom de Laeddis est incarcéré à Shutter Island, remettant en cause la véritable raison de sa venue.
Cette richesse derrière le personnage central mène à un problème capital : on rebondit incessamment sur des possibilités, des évènements morbides et de courtes réflexions sur les hôpitaux comme Ashecliffe. Les nombreux flashbacks et les multiples raisons possibles de la présence de Teddy sur l’île font de Shutter Island un métrage relativement apathique.
Bipolaire.
Le film est plus qu’un thriller, c’est aussi un drame qui emprunte aux codes du cinéma d’horreur. Esthétiquement, les gros plans sur les personnages en extérieurs sont gâchés par une intégration indigne d’un film de cette envergure, avant tout lorsque le ciel est visible. Les passages oniriques souffrent d’une mise en scène peu inspirée et d’effets visuels de médiocre qualité, brisant ainsi toute beauté macabre qu’elles auraient pu dégager. Il faut ajouter à cela un manque de finesse dans le traitement de l’horreur et du morbide : rien n’est suggéré, tout est montré avec insistance jusqu’à en devenir rébarbatif.

Toutefois, on ne peut nier la qualité du clair-obscur de certaines scènes, notamment dans le labyrinthique pavillon C. Et pourtant, on ne renoue jamais avec l’inquiétude et la tension des premières minutes. Scorsese ne s’essaie à aucun plan séquence qui ont pourtant marqué l’histoire du cinéma dans certains de ses films et qui ici, auraient pu créer une angoisse redoutable.

Surprise !
S’il y a bien un élément qui n’échappera qu’à peu de spectateurs, c’est la présence d’un twist final. Les indices qui pourraient donner une richesse nouvelle au second visionnage manquent de subtilité, tout comme la majorité des interactions de Teddy avec les autres personnages, bien trop démonstratives. Martin Scorsese ne peut plus nous surprendre, il nous a prévenu durant tout le film ; bien sûr, la nature du dénouement reste un mystère mais après avoir été balloté durant près de deux heures, il est difficile de s’émerveiller de cette révélation qui, au final, justifie de nombreux choix de mise en scène.
Un acteur pour éviter le naufrage.

DiCaprio est probablement celui qui évite au navire de couler (y aurait-il un mauvais jeu de mots en rapport avec un film récompensé aux Oscar ? A vous d’en décider), son interprétation est un des rares éléments qui captive du début à la fin. Et si le reste du casting soutient correctement sa prestation, on ne sera marqué par aucun personnage secondaire, même parmi les zinzins, loin de fasciner comme dans One flew over the Cuckoo’s nest (Vol au-dessus d’un nid de coucou). A ce propos, ce thriller au milieu d’un hôpital psychiatrique manque justement d’un grain de folie et de paranoïa palpable.

Conclusion
Ma déception est à la hauteur de l’estime que j’ai envers Martin Scorsese. Au terme du film, on a conscience d’avoir assisté à une histoire originale mais traitée malhabilement par son réalisateur. J’arrive même à penser qu’un réalisateur comme David Lynch aurait pu en faire une merveille, s’étant toujours montré efficace pour marier les enquêtes à la fantasmagorie sous un voile de suspens oppressant.
Shutter Island est un thriller médiocre qui plaira aux spectateurs qui pourront passer outre ses défauts et qui laissera de marbre les autres.
Note : 5/10
Article rédigé par Dom

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11 commentaires

  1. Personellement je serais moins sévère sur la réalisation qui nous offre des moments extraordinaires (scènes de rêve notamment) tout en critiquant le manque d'originalité dans le traitement de sujets vus et revus (et je pense tout particulièrement a memento pour la morale et a un homme d'exception pour la façon dont c'est filmé). Ce n'est pas pour autant un mauvais film mais simplement un scorcese mineur malgré une très bonne première heure.

  2. Memento (de Christopher Nolan) avait le mérite d'être captivant malgré son budget très serré et ce, grâce à un scénario et un montage impeccable. La première fois qu'ont le voit, il est quasiment impossible de déchiffrer le puzzle à l'avance.

    Mais je suis d'accord que Shutter Island n'est pas un mauvais film en soit : il flirte avec la "moyenne".

  3. Quand on connaît la fin du film, on se demande pourquoi Scorcèse a été faire réagir les médecins de cette façon lors de certaines scènes, sans parler des ‘’mauvaises réactions’’ sur les visages des flics… pourquoi un moment le docteur réponds à Di Caprio: "mais non il n'y a pas de patient n°67, alors qu'à la fin il lui dit:"c'est vous le patient 67!"…
    Le film est carrément à refaire, c'est insensé de la part de ce réalisateur qu'il est commit autant de fautes. Je n'aimais déjà pas, maintenant c'est fini. Dans le film sur les Stones, je me souviens que sa façon de se filmer tout nerveux en régie m'avait insupporté. Mer.. parfois il faut reconnaitre que c'est agaçant de voir des gens quand même talentueux, à l’aise financièrement, saboter le travail des auteurs. Je m'arrête ici et réécrirai peut être un jour ce scénario à ma sauce ! 😉

    Edith Vh

  4. Le film se laisse bien regarder. Mais c'est trop prévisible, hélas.

  5. Di Caprio utilise pleinement son talent alors que Scorsese oublie son savoir faire. Même si ce long-métrage n’est pas déplaisant a suivre, il en résulte finalement qu’une déception, pas assez (aucune palpable ?) de folie, une esthétique parfois très limite……… Pourquoi Martin… pourquoi… 🙁

  6. Je serais moins sévère car j’ai apprécié Shutter Island. La bipolarité du personnage est bien retranscrite par Di Caprio et l’ambiance du film, par moment très Hitchcockienne, plonge le spectateur dans une terrible angoisse.

  7. Eh bien, je trouve que sa mise en abîme du cinéma est un peu trop grossière et indigeste. Rien ne fait dans la subtilité, or, Martin Scorsese est un cinéaste qui connait son domaine à 200% (au moins), c’est donc d’autant plus décevant – à mes yeux – de le voir pondre un tel film. Surtout si on considère que des personnages névrosés, il sait les mettre en scène avec maestria comme avec Taxi Driver ou plus récemment The Aviator.

  8. Critique très juste, ce Scorcese est vraiment décevant. Visuellement plutôt faiblard, avec une ambiance qui peine à véritablement troubler et une chute qu’on devine vraiment trop vite. J’attendais plus de rebondissements et de retournements de situation dans le déroulement de l’intrigue, on est trop peu surpris. Je suis tout à fait d’accord avec la remarque sur Lynch, quand on voit l’atmosphère qu’il a su créer dans Elephant Man.

  9. Je n’entrerai pas dans le débat (terrain glissant!) mais pour ma part c’est jusqu’à présent le meilleur film que j’ai vu en 2010. Comme quoi les gouts et les couleurs…

  10. Pour m’assurer que j’avais vraiment adoré, je l’ai regardé une cinquième fois, et je ne change pas d’avis. je ne trouve qu’il y a un manque de finesse, au contraire. Sinon bien vu le fait que le film se rapproche du traitement de l’horreur et du morbide.

  11. @Cyril, j’ai donné une seconde chance au film il y a plusieurs semaines déjà et j’ai ressenti la même chose : une très bonne première heure et une seconde partie pompeuse ; le point de bascule se situant très exactement au moment où Teddy discute avec une patiente autour d’un feu non loin du phare.

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