Critique : Master Gardener

Depuis 2016, Paul Schrader enchaîne les réussites bien que ses films n’obtiennent pas toujours la distribution méritée. Encore centré sur une figure masculine tourmentée, Master Gardener interrompt la série dans un thriller qui dénature à outrance les codes du genre – dans une volonté évidente et louable de se montrer original.

Jardin divers

Le délirant et cauchemardesque Dog Eat Dog (2016), le révolté Sur les chemins de la rédemption (2017) et le soldat déchu devenu expert en cartes de The Card Counter (2021) avaient redoré le blason de Paul Schrader, qu’on associera toujours à Martin Scorsese (avec les scénarios de Taxi Driver (1976) ou encore Raging Bull quatre ans après), malgré des débuts remarquables comme réalisateur et scénariste avec Blue Collar (1978). Qui aurait pu miser sur lui en 2013 après le désastreux The Canyons (2013), écrit par Bret Easton Ellis à la suite d’une série de films anecdotiques, au mieux ? Depuis quelques années, il faut admettre que Schrader a retrouvé la gnaque. S’il s’axe encore ici sur une figure hantée par son passé, Schrader décide de jouer avec les codes du thriller jusqu’à lui ôter une grande partie de ce qui alimente la tension et le suspense. Joel Edgerton campe Narvel Roth, un horticulteur au service d’une femme fortunée, Norma Haverhill (Sigourney Weaver). Il y a quelque chose déjà de trop scolaire quand nous entrons dans ce domaine au travers de la voix-off de notre protagoniste, suite à un joli générique où des plantes entrent en floraison – et qui manqueront ensuite souvent à l’appel. Narvel consigne ses pensées dans un carnet, où il nous explique son travail et cet univers peu représenté au cinéma. Derrière le flegme et sous la tenue de jardinier, l’homme qui façonne ces jardins cache une ribambelle de tatouages suprémacistes et néo-nazis, à faire fuir quiconque sur une plage qui ne porterait pas le blase de Le Pen. Ce passé, ultra-violent et qui lui vaut cette nouvelle vie ascétique – on repense à Sur les chemins de la rédemption – surgit çà et là, dans des analepses brèves et pour le moins maladroites.

Joel Edgerton et Quintessa Swindell dans Master Gardener

Ce qui nous conduit sur la dynamique du thriller, c’est une demande particulière de Norma : initier à l’horticulture sa nièce Maya (Quintessa Swindell), dernière membre de sa famille mais avec laquelle elle n’a plus de contact. La jeune femme serait sous de mauvaises influences, dans les filets de drogues loin d’être douces. Dès l’arrivée de Maya, quelque chose commence à clocher dans l’écriture des personnages – car les comédiens se montrent convaincants. Il y a un problème au niveau de leur psychologie mais aussi des agissements qui conduiront naturellement à importer les problèmes de Maya sur le domaine – à renfort d’une jalousie d’abord injustifiée. Lorsque le film pourrait s’emballer, devenir à juste titre vénéneux, il nous présente un gringalet et son pote hispanique bandana dans les cheveux pour générer un bien maigre danger. Autant dire que rien ne fonctionne suite à une décision radicale de la part de Norma – et également, difficile à saisir avec les enjeux du travail de Narvel. Master Gardener finit par évoquer A Beautiful day (2017) de Lynne Ramsay, œuvre décevante sur certains points – en jouant aussi avec les attentes d’un thriller – mais qui se montrait nettement plus incisive avec son Joaquin Phoenix désespéré. Au final, ici, Paul Schrader ne met jamais en place les éléments qui permettraient d’atteindre une forme de climax dans son film. Alors qu’il aurait pu se montrer passionnant sur les problématiques liées à l’extrême-droite, agitant autant notre continent que les Etats-Unis, Paul Schrader remue timidement ce passé pour cadrer son protagoniste. C’est bel et bien dans la case faits divers que se limitent les événements de ce long-métrage qui pourrait toutefois vous donner des envies de jardinage.

2.5 étoiles

 

Affiche du film Master Gardener

Master Gardener

Film américain
Réalisateur : Paul Schrader
Avec : Joel Edgerton, Sigourney Weaver, Quintessa Swindell, Oscar Neruda, Eduardo Losan, Jared Bankens
Scénario de : Paul Schrader
Durée : 111 min
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie en France : 5 juillet 2023
Distributeur : The Jokers Films

 

Photos du film Copyright The Jokers Films

Article rédigé par Dom

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