[Critique] Stoker (Park Chan-wook)

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Le sud-coréen Park Chan-wook réalise son premier film américain avec Stoker, un thriller glauque et violent, à la dimension sensorielle incroyable. Mis en scène prodigieusement, ce film offre à Mia Wasikowska son rôle le plus marquant.

Emancipation sadique

On doit ce nouveau long métrage de Park Chan-wook à la plume de Wentworth Miller, qui peine à se détacher de l’étiquette de la série Prison Break, mais peut-être que cette œuvre pourrait changer la donne. Force est de constater que les deux hommes sont sur la même longueur d’onde tant l’univers de Stoker recèle d’éléments caractéristiques des longs métrages du réalisateur de Old boy, marqués par des accès de violence extrême. Le film fascine dès ses premières minutes, où India Stoker (Mia Wasikowska) confie au spectateur souffrir d’une hyperacousie lui permettant d’entendre ce que nul n’entend. Tout au long de son parcours, le spectateur sera bercé dans une dimension sonore riche, où le moindre son – la faune, le craquement d’une coquille d’œuf, une dalle posée dans le jardin – se retrouve presque personnifié, comme présent à l’image, aux côtés des acteurs. Nul dialogue n’échappe non plus à la jeune femme, que ce soit dans les couloirs de l’école où dans la vaste demeure dont l’espace semble se redéfinir à chaque scène par des cadrages intelligents. Dans cette introduction également fabuleuse sur le plan pictural – la collaboration entre Chan-wook et son chef opérateur Chung-hoon Chung atteint des sommets –, le temps se fige et reprend vie au rythme d’India, tel un métronome donnant la mesure, un objet qui prendra son importance plus tard, autour d’un piano. C’est l’anniversaire de la jeune fille et son père vient de mourir dans un accident de voiture. Dans sa robe d’un autre temps, India déambule comme une Alice aux pays des merveilles tragique – une sensation apportée par le rôle de Wasikowska chez Tim Burton et sa chevelure brune. L’apparition aux funérailles d’un oncle voyageur, Charlie (Matthew Goode), change le ton de l’existence de la demoiselle, générant une tension progressive au fur et à mesure de son implantation dans le domicile des Stoker.

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Jouant délicieusement avec la perception du spectateur – il faut du temps avant de découvrir que l’histoire se déroule de nos jours –, Stoker bénéficie d’un montage particulièrement intéressant, très fluide et efficace lors de ses mises en parallèle de certaines scènes. La violence est d’abord évanescente, le rideau tombe comme un refus d’affronter l’horrible réalité de la part d’India, pour mieux resurgir sous forme de flashback avant d’être acceptée, s’inscrivant alors dans la linéarité du récit. Park Chan-wook navigue dans cette histoire avec une aisance parfois inouïe, comme lorsqu’un plan de la chevelure d’Evelyn (Nicole Kidman), la mère, nous mène grâce à un fondu magnifique dans les hautes herbes où India chassait avec son père. Exploitant certains motifs hitchcockiens – Charlie apparaît comme le spectre plus jeune du défunt paternel, au point de subjuguer la veuve –, le scénario de Wentworth Miller se montre fondamentalement classique – bien que les grilles de lecture soient nombreuses -, transcendé par le travail de Park Chan-wook. Au cours d’une scène de piano à quatre mains, la grâce et un érotisme pervers se marient dans une envolée musicale fabuleuse. Une escapade au clair de Lune vire d’un simple geste de la fantaisie adolescente au pur cauchemar sadique. D’un bout à l’autre du film, un magnétisme émanant de Charlie insuffle une tension sexuelle inquiétante, affectant Evelyn et India. Wasikowska sublime son personnage replié sur elle-même, fragile comme une proie mais aussi dangereuse qu’un prédateur derrière le masque de sa timidité. Une ambivalence caractérisant aussi Charlie, dont les sourires charmeurs contrastent avec la violence froide dont il peut faire preuve. Entre ses deux êtres, un lien physique troublant : un regard bleuté parfaitement identique.

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Dans sa manipulation perverse de la cellule familiale, Stoker provoque des déflagrations stupéfiantes. Malsain, parfois immoral et usant d’une logique insidieuse, ce thriller trouve sa beauté paradoxale dans l’émancipation de la femme sur laquelle il se porte. India est une véritable prisonnière du temps, des années qui s’écoulent dans un même moule – elle reçoit depuis son plus jeune âge la même paire de chaussure, adaptée à sa nouvelle pointure –, vivant par substitution au travers de ses lectures. La monotonie de la mesure du métronome doit être brisée. Une libération qui passe par le conflit, psychologique et physique, mais aussi par l’acceptation de ses pulsions, même les plus sadiques. Une œuvre jouissive, troublante de poésie funeste.

4 étoiles

 

Stoker

stoker-afficheFilm américain, britannique
Réalisateur : Park Chan-wook
Avec : Mia Wasikowska, Nicole Kidman, Matthew Goode, Alden Ehrenreich, Jacki Weaver
Scénario de : Wentworth Miller, Erin Cressida Wilson
Durée : 99 min
Genre : Thriller, Drame, Epouvante
Date de sortie en France : 1er mai 2013
Distributeur : Twentieth Century Fox


Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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4 commentaires

  1. Bien que je me demande ce qu’ils ont pour avoir envie de faire du ciné au USA, parce que c’est souvent la « cata », d’après ce que tu dis cela à l’air d’être l’exception qui confirme la règle. Ça a même l’air d’une pépite, donc impatient je suis que cette femme me fasse frémir. (dommage que la photo de l’affiche soit tellement inspiré de « Beautiful creatures » alors que le bas de l’affiche est magnifique.)

  2. Je n’ai pas pu aller le voir encore mais j’avais apprécié, malgré leur très forte noirceur, Old Boy et Lady Vengeance…Je craignais en effet, un raté avec l’influence des US mais à priori cela ne serait pas le cas…Reste à le voir mais encore une fois cela reste malsain…

  3. Beaucoup aimé, néanmoins je trouve que le réalisateur s’est un peu auto-censuré… 3/4

  4. @domdom2006 : effectivement c’est un raté pour l’affiche du film, assez rebutante – je n’avais pas vraiment aimé le ton de la bande annonce non plus.

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