Critique : Bones and All

Le cinéaste italien Luca Guadagnino adapte un roman de Camille DeAngelis avec Bones and All, qui marque ses retrouvailles avec Timothée Chalamet et un cinéma plus inspiré que lors de sa relecture de Suspiria (2018). Chronique d’une marginalité marquée par le cannibalisme, ce drame à la lisière de l’horreur met en lumière la jeune actrice Taylor Russell.

Appétit féroce

Maren (Taylor Russell) semble être le profil de l’adolescente solitaire ordinaire lorsque nous la découvrons. Invitée par une camarade à passer la nuit chez elle, elle file du domicile à l’insu de son père. Mais alors que la soirée se déroulait normalement, Maren est prise d’une pulsion terrible : elle arrache, à pleines dents, la chair du doigt de sa copine. Coup de panique, retour à la maison : il est temps de déménager sans traîner. Ce n’est pas une première, seulement cette fois, son père, à bout, abandonne sa fille avec quelques dollars pour survivre. Cette chronique qui se déroule dans le Midwest au milieu des années 80 se développe sur plusieurs axes, il y a d’une part une quête identitaire pour Maren, qui découvrira des semblables tout en cherchant sa mère, mais aussi un combat contre le déterminisme : est-il possible pour ces personnes de réfréner leurs envies de viande humaine et ainsi, de rentrer dans le rang ? Sensible notamment grâce à la bande originale de Trent Reznor et Atticus Ross, qui manient toujours parfaitement cette recette de morceaux où pianos, drones et guitares mélancoliques se mêlent ou se répondent, avec ici un soupçon d’americana tantôt touchant, tantôt dissonant, ce nouveau long métrage joue brillamment avec le rapport à autrui. Première rencontre aussi capitale qu’angoissante avec Sully (Mark Rylance), cannibale capable de flairer ses pairs à plusieurs centaines de mètres ainsi que de déceler un humain sur le point de mourir et d’offrir alors un repas sans commettre de meurtre. Tout comme Maren, nous apprenons les codes de cette communauté inquiétante, du moins, des codes de conduite qui semblent varier d’un individu à l’autre, et qui placent chaque rencontre sous le sceau de la suspicion.

C’est la rencontre avec Lee (Timothée Chalamet) qui donne un véritable élan à la nouvelle vie de Maren. Il est jeune, séduisant et sûr de lui. Il flotte alors le parfum du premier amour, bien que ces deux personnages qui vont coopérer, continueront longtemps à se chercher. Si Lee s’est éloigné volontairement des siens, Maren, elle, veut retrouver sa mère pour comprendre son identité, ses envies sanguinaires. Au cours de cette quête, Bones and All ne cesse de se densifier autour de ce couple et de leur rapport au cannibalisme. Si ce film reste avant tout une œuvre dramatique, il est nécessaire de préciser que l’ultra-réalisme des scènes de « festins » pourront perturber de nombreux spectateurs. C’est d’ailleurs bien souvent dans un tel contexte que les effusions de sang dérangent le plus à l’image. A ce propos, le film possède une magnifique lumière, avec de la texture, de la chair pourrait-on dire : le chef opérateur Arseni Khachaturan a tourné le film en 35 mm, et les scènes diurnes comme nocturnes portent un éclairage particulièrement charmant sur les comédiens. Lorsque le film touche le plus au cinéma d’horreur ou au thriller, la mise en scène de Guadagnino perd parfois en assurance dans le choix de certains cadrages, ce qui ne l’empêchera pas d’être récompensé du Lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise 2022, festival où fut aussi couronnée Taylor Russell avec le prix Marcello Mastroianni – meilleur espoir. En somme, c’est sur la fibre sentimental, comme dans Call me by your name (2017), que le cinéaste se montre le plus à l’aise. Et ce n’est plus l’éphèbe Timothée Chalamet au centre des préoccupations mais avant tout Taylor Russell, qui dégage une fragilité évanescente, au gré du caractère qui se forge. L’actrice canadienne montre déjà une palette de jeu contrastée et dynamique. Animée par une lutte contre les pulsions primaires, cette œuvre sombre et parfois dérangeante se place en vecteur d’espoir malgré de terribles événements, survenant du début… à la faim.

3.5 étoiles

 

Bones and All

Film italien, américain
Réalisateur : Luca Guadagnino
Avec : Taylor Russell, Timothée Chalamet, Mark Rylance, André Holland, Chloë Sevigny, Michael Stuhlbarg, Jake Horowitz
Scénario de : David Kajganich, d’après un roman de Camille DeAngelis
Durée : 131 min
Genre : Drame, Horreur, Romance
Date de sortie en France : 23 novembre 2022
Distributeur : Warner Bros. France

 

Photos du film Copyright Yannis Drakoulidis / Metro Goldwyn Mayer Pictures

Article rédigé par Dom

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