Critique : L’Affaire collective

Le 30 octobre 2015, un incendie se déclare au Colectiv, boite de nuit de Bucarest où un groupe de métal donne un concert. Vingt-sept personnes périssent tandis que des dizaines de brûlés graves gagnent les hôpitaux roumains. Au fils des jours, une grande partie des brûlés décède d’infections nosocomiales. En suivant Catalin Cotolan, l’un des rares journalistes à s’être interrogé sur la situation avec une poignée de collègues, Alexander Nanau réussit un véritable exploit comme documentariste : la révélation, face à sa caméra, d’un scandale sanitaire puis les retombées politiques directes. Une ignoble tragédie, sous le sceau de la corruption.

Investigation primordiale

Il y a pour débuter des faits : la tragédie lors d’un concert, des blessés qui décèdent alors que leur pronostic vital n’était pas engagé, et la démission du Ministre de la Santé, laissant place à un ministre de transition jusqu’aux élections, Vlad Voiculescu. Des faits, puis des images ahurissantes : le concert, filmé, montre à partir de deux caméras comment ce moment de musique et de fête se change en brasier infernal en l’espace de quelques instants. La douleur et la colère des proches de ceux qui ont réussi à s’échapper de cette salle qui ne répondait pas aux normes de sécurité pour finalement mourir dans les hôpitaux est simple à comprendre. Si L’Affaire collective relate de corruption en Roumanie et de mensonges de son gouvernement, nous pourrions très bien en France connaître de sombres affaires analogues, dans le domaine sanitaire – est-ce que des élus feront face à la justice pour la gestion de la pandémie ? – ou ailleurs. Face aux faits, pris la main dans le sac, les élus déforment l’information ou sortent la carte du déni : c’est exactement ce qui se passe lorsque Catalin Tolontan et ses collègues découvrent que les produits désinfectants vendus par la société Hexi Pharma aux hôpitaux roumains ne répondent pas aux normes. Les produits, dilués jusqu’à dix fois, seraient presque inutiles ! Les faits révélés conduisent à des études aux données erronées, un discours étatique très rassurant. Grâce à la ténacité des journalistes, le scandale éclate au grand jour, et l’arrivée du nouveau Ministre de la Santé, prêt à enquêter sur les dysfonctionnements, qui ne concernent pas seulement les victimes du Colectiv, nous conduit vers des découvertes vertigineuses.

Avec son style très alerte, L’Affaire collective nous donne la grisante sensation de vivre les événements en direct : l’alternance entre les équipes journalistiques et ministérielles établit une forme de narration captivante, car elle montre les failles de sociétés démocratiques, où l’on est en droit de croire que le bien du peuple est recherché avant tout, ou du moins, qu’il n’est pas mis en péril pour le profit d’une élite. Erreur monumentale. Mais Alexander Nanau ne se limite pas à cette dichotomie formée par les journalistes et le Ministre de la Santé, il rend aussi hommage aux victimes, en suivant notamment Tedy Ursuleanu, une jeune femme grièvement brûlée au visage, aux bras ainsi qu’aux mains. Cette survivante, inspirante dans sa résilience, ne détourne pas le film vers un champ d’émotionnel facile. Elle apporte aussi sa touche au combat, car elle, comme les autres victimes et familles de victime, est en première ligne pour réclamer justice, pour que de tels faits ne puissent jamais se reproduire.

De l’importance de questionner le discours d’Etat, de l’importance d’avoir des journalistes indépendants, qui ne font pas des courbettes lors des conférences de presse, qui enquêtent avec courage, car démasquer les puissants c’est aussi mettre sa vie en péril : L’Affaire collective rend hommage à ces femmes et ces hommes éveillés et engagés. Le journalisme est l’un des derniers remparts contre les maux qui gangrènent nos démocraties. Un rempart qui expose aussi un versant moins lumineux : dans sa dernière partie, le film montre le pouvoir malsain de la télévision, capable de répandre des éléments trompeurs dans tous les foyers. Triste leçon politique qui souligne les imperfections de nos sociétés, où les plus grands excès, abus et tromperies ont encore de beaux jours… Alexander Nanau livre un documentaire magistral, doté d’une vivacité et d’une sagacité inspirantes.

4.5 étoiles

 

L’Affaire collective

Film roumain, luxembourgeois
Réalisateur : Alexander Nanau
Titre original : Colectiv
Scénario de : Alexander Nanau, Antoaneta Opris
Durée : 109 min
Genre : Documentaire
Date de sortie en France : 15 septembre 2021
Distributeur : Sophie Dulac Distribution

 

Photos Copyright Alexander Nanau Production

Article rédigé par Dom

Partagez cet article avec vos amis ou votre communauté :

Twitter Facebook Google Plus

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Comments links could be nofollow free.

 

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Avant de publier un commentaire, vous devez lire et approuver notre politique de confidentialité.