Critique : El Reino

Rodrigo Sorogoyen s’installe comme une valeur sûre du cinéma espagnol : à peine deux ans après son excellent thriller Que dios nos perdone, il livre un thriller politique remarquable par la tension générée. Un vrai saut dans le vide, sans parachute, avec un Antonio de la Torre explosif.

Corruption démentielle

La couleur et la nature des cartes n’ont aucune importance dans El Reino, Rodrigo Sorogoyen et sa co-scénariste Isabel Peña ne visent pas à critiquer une idéologie de la classe politique, ni même dénoncer le vice de médias précis, avec ce long métrage qui ne laisse pas entrevoir l’uppercut qui attend le spectateur au détour de la descente en enfer de son protagoniste. C’est le principe même de la corruption, propre à tous les partis et à tous les pays, qu’ils dénoncent. Une corruption qui bafoue les lois mais qui trouve pour source une corruption morale. Manuel López-Vidal (Antonio de la Torre) se retrouve lâché par son parti à la veille d’élections, lorsqu’une affaire frauduleuse dont on ne connaîtra jamais la nature exacte le projette vers la sortie. A la tête de son parti, Asunción Ceballos (Ana Wagener) offre toutefois une possibilité de rebond à Manuel, avec un poste à Washington. Mais Manuel refuse de tomber ainsi, ou s’il doit tomber, il entraînera tout le monde dans sa chute. Tourné en caméra épaule presque exclusivement, au plus près de ses comédiens, El Reino se veut nerveux, par son montage, mais aussi la musique électronique d’Olivier Arson, nappes planantes de synthé coulant au long de rythmiques électroniques qui semblent œuvrer comme une pulsation vitale, et de plus en plus nerveuse. Un choix de mise en scène et une ambiance musicale qui pourraient dans un premier temps apparaître comme des artifices pour combler un vide dans ce long métrage au bavardage opaque. Il n’en est rien : lorsque Manuel décide de passer à l’acte à l’encontre des siens, El Reino prend une tournure vertigineuse.

Malgré la primauté de la caméra épaule conférant un aspect très alerte mais aussi commun au montage du film, Rodrigo Sorogoyen réalise quelques séquences ahurissantes, sans sortir de son dispositif : l’air de rien, lors d’un échange crucial sur un balcon, on réalise soudain que la caméra est au-dessus du vide, symbolisant parfaitement la position du politicard en train de trahir les siens pour sauver sa propre peau, continuer son train de vie dans l’opulence avec sa femme Inès (Mónica López) et sa fille Nati (María de Nati). Au-delà de la réputation entachée, Manuel joue gros, et la paranoïa enfle au fil de ses agissements plus ou moins hasardeux, jusqu’à ce que la tension atteigne son paroxysme au cours d’une nuit à couper le souffle. Antonio de la Torre est bluffant, par l’urgence de son jeu, cette capacité à exploser d’abord par la parole, puis physiquement, mais toujours en conservant cette stature propre aux hommes politiques, véhiculant cette image de fermeté immaculée. Image à l’opposé de la crasse profonde dans laquelle baignent leurs cœurs, leurs actions, leurs méfaits si banalisés quand ces derniers ne sont pas étouffés par les médias. Car dans son acte final, El Reino révèle l’étendue de sa critique, grâce au personnage de journaliste campée magnifiquement par Bárbara Lennie, Amaia Marín, présentatrice d’un journal matinal mais désireuse de gravir les échelons, elle aussi. Hypocrites pantins d’un système aussi pourri qu’inébranlable, politiques et journalistes jouent une partition similaire, délétère pour le citoyen lambda. El Reino expose les faiblesses de nos sociétés, de nos démocraties, car le mal s’est logé au plus profond de l’âme des personnes de pouvoir, depuis des lustres. En Espagne, comme en France, nous sommes les tristes sujets de royaumes déments, profondément corrompus et avilissants.

4 étoiles

El Reino a reçu 7 Goyas en 2019 ainsi que le Prix de la critique au Festival international du film policier de Beaune 2019.

 

El Reino

Film espagnol
Réalisateur : Rodrigo Sorogoyen
Avec : Antonio de la Torre, Mónica López, Josep Maria Pou, Bárbara Lennie, Nacho Fresneda, Ana Wagener, Luis Zahera, Francisco Reyes, María de Nati
Scénario de : Rodrigo Sorogoyen, Isabel Peña
Durée : 132 min
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie en France : 17 avril 2019
Distributeur : Le Pacte

 

Article rédigé par Dom

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