Cannes 2018 : passage au shaker

Le physique est mis à rude épreuve dans ces dernières journées de festival. Heureusement, les cinéastes nous offrent de quoi nous réjouir en salle avec de belles (et très belles) œuvres. Dans cet article, on évoque la soirée de Clôture de la Semaine de la Critique, Under the Silver Lake, Miraï, ma petite sœur et Burning – avec Jeon Jong-seo ci-dessus dans le film.

Heureux, déçus, à bout de forces, vaillants ou sur le départ : mercredi soir, à la soirée de la clôture de la Semaine de la Critique sur la plage Nespresso, les festivaliers conjuguent tous les états possibles du corps et de l’esprit. Nous sommes comme passés aux shakers des barmen nous proposant de délicieux cocktails à base de café et de cointreau. La fête bat son plein, les équipes de films sont heureuses, surtout celle qui a décroché le Grand Prix Nespresso sous la présidence de Joachim Trier, avec Diamantino. Un choix surprenant tant le film me semble faible au-delà de son introduction délirante. Mais passons, nous ne sommes pas là pour les griefs et remords, mais collectionner dans chaque main du champagne, des burgers, nems et macarons. Dans un tel cadre, malgré la fraîcheur de la nuit, le temps file comme un éclair. Un raid au casino du Marriott nous propulse quelques minutes plus tard sur le toit du Five Seas à l’AME, qui tenait plus tôt la soirée du film Burning de Lee Chang-Dong, une baffe que nous avons pris plus tôt en début de soirée en salle Debussy alors que la pluie nous taraudait méchamment.

Nous n’avions pas vu le sud-coréen Lee Chang-Dong depuis le chef d’ œuvre Poetry en 2010. Son nouveau film, en compétition, est l’adaptation d’un roman de Haruki Murakami. Il livre un drame traitant du malaise entre les classes sociales, avec pour moteur, une relation sentimentale avortée. Lee Jongsu (Yoo Ah-in) retrouve une voisine de son enfance au hasard de son travail de livreur, Shin Haemi (Jeon Jong-seo), devenue une splendide jeune femme. Ils couchent ensemble, accomplissant un acte salvateur pour Haemi qui, dans son enfance, en pinçait pour Jongsu. A cette époque, le garçon s’était montré odieux avec sa voisine. Haemi part en voyage en Afrique et demande à Jongsu de nourrir son chat dans sa minuscule chambre. Il accepte et se languit de Haemi, mais à son retour, cette dernière est accompagnée par Ben (Steven Yeun), rencontré à l’aéroport. C’est le point de bascule de ce film à la mise en scène impériale, par ses plans longs qui permettent aux acteurs d’exprimer tout leur talent – ainsi qu’au chef opérateur –, dans ses séquences parfois captivantes de beauté, comme cette danse de Haemi, poitrine découverte, aux côtés des deux hommes alors que le soleil se couche dans la vallée et que Miles Davis résonne depuis la Porsche de Ben. Car Ben fait partie de la haute société, et éteint tout espoir pour Jongsu de vivre une relation amoureuse avec Haemi. Il y a une violence sourde dans le choc entre les classes sociales, mais aussi un autre point fascinant sur le doute alors que Haemi disparaît sans laisser aucune trace. Et si Ben n’était rien d’autre qu’un vicieux assassin ? Jongsu met sa vie en suspens pour élucider ce mystère, alors que Ben accepte le jeune homme, écrivain en devenir, dans sa vie – mais en quel nom ? Une véritable amitié ou une façon perverse de montrer son écrasante supériorité sociale ? Vous l’aurez compris, Burning est une œuvre incroyable, par son propos social, mais aussi cette capacité à se positionner à la frontière du thriller avec une finesse incroyable. C’est un prix qui attendra Lee Chang-Dong, cinéaste en état de grâce, samedi soir. Celui du meilleur réalisateur ou pourquoi pas, le Grand Prix ?

Le matin, le réveil avait sonné tôt pour David Robert Mitchell, réalisateur qui est passé de la Semaine de la Critique avec It follows à la compétition avec Under the Silver Lake. Objet pop porté par un Andrew Garfield hallucinant dans sa gestuelle de spiderman défoncé, ce long métrage se glisse dans la catégorie des stoner movie tels que The Big Lebowski ou encore Inherent Vice. Glandeur répondant au prénom de Sam, Garfield évolue dans un Los Angeles halluciné et surréaliste, comme détraqué par son univers cinématographique, sous l’influence d’Alfred Hitchcock et des films noirs. Sam recherche Sarah (Riley Keough), une voisine dont il est tombé sous le charme mais qui a disparu subitement. Le film de David Robert Mitchell est assez ahurissant par son style, sa capacité à surprendre scène après scène dans une enquête que l’on imagine vouée à l’échec, riche en rencontres improbables. Sur la piste d’un étrange complot, Sam se met en danger en fouinant là où il ne faut pas. Seul défaut de ce film délicieux d’absurdité, sa longueur qui le conduit au-delà de 120 minutes alors que les enjeux s’avèrent relativement limités. La proposition reste toutefois extrêmement charmante, d’autant que de nombreux éléments invitent à revoir le film – en salle le 8 août – pour en découvrir tous les secrets.

L’après-midi, à la Quinzaine des Réalisateurs, c’est Mamoru Hosoda qui présente son nouveau film d’animation, tout juste achevé pour le présenter à Cannes : Miraï, ma petite sœur. Le réalisateur japonais est accompagné par l’actrice Moka Kamishiraishi, qui prête sa voix au petit garçon – non ce n’est pas une erreur liée à la fatigue – Kun dans le film. Moka se distingue par un salut à la salle dans un français parfait.

A 4 ans, Kun voit son quotidien bouleversé par la naissance d’une petite sœur qui capte toute l’attention de ses parents, Miraï. Jaloux, ce dernier exprime toute sa méchanceté envers le bébé, et c’est au travers de scène fantastiques que le petit va apprendre à abandonner ses mauvais sentiments et saisir la valeur des liens familiaux. D’abord, c’est une incarnation humaine du chien de la famille qui nous conduit dans un espace merveilleux et humoristique, et c’est ensuite en abattant la cloison du temps que cette odyssée infantile prend de l’envergure. Kun rencontrera sa sœur adolescente, son grand-père au temps de l’après-guerre. L’animation est d’une telle délicatesse que ce retour à l’enfance touche à chaque instant, même si les colères de Kun s’avèrent parfois pesantes. Il y a aussi un magnifique travail sur le mouvement, avec des effets fantastiques de profondeur des décors, comme avec de la 3D. Miraï, ma petite sœur prolonge une filmographie incarnée avec un nouveau film réalisé avec le cœur. Un petit bijou qui séduira tous les amateurs d’animation nippone – la date de sortie en salle est encore inconnue à ce jour.

Article rédigé par Dom

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