Critique : Nocturama

Après L’Appollonide (Souvenirs de la maison close) et Saint Laurent, Bertrand Bonello revient à notre époque avec un sujet brûlant. Dans Nocturama, un groupe de jeunes prépare un vaste attentat au cœur de la capitale. Une œuvre qui suscite autant le malaise qu’elle soulève de questions sur une jeunesse française désabusée ainsi qu’une société capitaliste déshumanisante.

Signal de détresse

Ils sont jeunes, d’origine et de milieux sociaux divers. Certains ont un petit job, d’autres recherchent un petit boulot, et dans le lot, il y a même des rêves de politique. Ils construiront la France de demain mais ils ne croient plus en la France d’aujourd’hui. En qui croire quand le comportement du gouvernement s’avère aussi minable que les méthodes de certaines multinationales sans âme ? Cette jeunesse ordinaire, qui s’engouffre dans le métro comme des milliers d’anonymes, a décidé d’agir, désespérément. Ce ne sont pas des membres d’un groupuscule terroriste, ni des militants politiques, ce sont des jeunes à bout de souffle, à court d’idées pour sortir d’un système étouffant, ou du moins, pour l’ébranler en son cœur. Leur plan : déclencher une vague d’attentats simultanés à Paris, s’attaquant, en priorité, à des symboles et non des civils. La première partie de Nocturama est une valse silencieuse entre les différents protagonistes, suivis au steadicam – marque de fabrique du film – dans les tunnels du métro et les rues parisiennes. Dans une économie de mots complète, la tension grimpe pour que soudain, la quiétude parisienne plonge dans l’horreur – la réalité aura même tristement rattrapée et dépassée le tournage de la fiction au cours de l’année 2015, poussant le cinéaste à abandonner le titre initial du film, Paris est une fête. Le plan, millimétré, s’exécute avec rigueur, sans accroc ou presque, au travers d’un montage habile s’attachant à la chronologie précise des agissements de chacun. Le cinéaste accorde suffisamment de retours en arrière pour connecter ses personnages sans jamais s’attarder sur leur passé : le mouvement et l’action guident inéluctablement le film jusqu’à sa seconde partie sombre et captivante.

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Bonello a composé une troupe hétéroclite, des acteurs montants – Finnegan Oldfield, Manal Issa, Vincent Rottiers – côtoient ici des non-professionnels – Laure Valentinelli, Ilias Le Doré, Martin Guyot. Une façon de diluer des figures de fiction parmi des visages inconnus redoutablement efficace, le cinéaste obtient et capte le meilleur de ses comédiens. Il y a cette peur, qui est double, celle du passage à l’acte, et celle de l’après, du monde d’après. Car suite à leur geste enragé, la bande se regroupe dans un immense centre commercial pour s’abriter pour la nuit, histoire de se fondre à nouveau dans la masse le matin venu. Coupés de la ville au sein de la ville, ils vont se retrouver aspirés par une force presque surnaturelle dans un temple de la consommation, de la sur-consommation. Surgit un des premiers paradoxes de Nocturama, qui renvoie l’insoumis à sa position de soumis. Vertige de découvrir l’un des personnages faisant face à un mannequin habillé comme lui de la tête au pied, annihilant en un plan toute possibilité d’action véritable : standardisés par la société, les êtres, devenus pions sans visage, sont aussi inoffensifs que d’inertes pantins. Et si, au fond, la cible n’avait pas été si bien choisie ? L’attente plie face à la tentation des objets, des marques et des gadgets. La musique éclate comme un remède au silence pesant tandis que la malle géante déverse ses trésors : armes factices – jouets désormais interdits –, sapes de luxe, kart et écrans plats. Un moment, un personnage se dit que leur action les conduira tous au paradis. Peut-être qu’ils y sont déjà, et que le paradis terrestre n’a rien de mieux à offrir qu’une orgie de marchandise et un festin sans éclat en attendant que le jour se lève. Mais le destin en décidera autrement…

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Loin de juger ses personnages ni même la société dans laquelle ils évoluent, Bertrand Bonello génère un violent malaise avec Nocturama, constat d’une impasse terrible dans laquelle la violence engendre comme réponse une violence d’autant plus implacable. Glissant de la musique électronique jusqu’au thème de The Persuaders (Amicalement vôtre), ce glaçant long métrage lance une fusée de détresse dans notre triste ciel capitaliste. Y a-t-il des sauveteurs présents dans l’assemblée ?

4 étoiles

 

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Nocturama

Film français, allemand, belge
Réalisateur : Bertrand Bonello
Avec : Manal Issa, Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani, Rabah Naït Oufella, Laure Valentinelli, Ilias Le Doré, Martin Guyot, Adèle Haenel
Scénario de : Bertrand Bonello
Durée : 130 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 31 août 2016
Distributeur : Wild Bunch Distribution

Bande Annonce :

Article rédigé par Dom

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Un commentaire

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