[Critique] Il était une fois en Anatolie (Nuri Bilge Ceylan)

Contemplatif et incroyablement réussi sur le plan esthétique, Il était une fois en Anatolie tient du voyage spirituel au cœur des steppes d’Anatolie, péninsule turque au paysage monotone. Un film envoûtant, récompensé du Grand Prix à Cannes en 2011, ex-aequo avec Le Gamin au Vélo.

Voyage au bout de la nuit

La trame qui amorce le film est un mystère simple : un homme a été assassiné ; la police et la gendarmerie recherchent le corps enterré à l’aide du suspect principal. Seulement, le soir du crime, Kedan (Firat Tanis) avait bu, et si certains détails sur le lieu lui reviennent à l’esprit, ces derniers peuvent caractériser n’importe quelle zone des contrées d’Anatolie. Au crépuscule grandissant, ces hommes accompagnant les deux suspects, commissaire, gendarmes, policiers, procureur et médecin, n’imaginent pas que cette affaire va les conduire au bout de la nuit, et même au-delà. Pourtant, Il était une fois en Anatolie n’empruntera jamais les codes du thriller ; sa densité croit au fil des minutes, sans jamais trouver de halte. C’est un drame qui dresse plusieurs portraits, celui d’une région, et de son peuple, grâce à des personnages de différentes classes socioprofessionnelles.
D’emblée, ce long-métrage de 157 minutes fascine : la sublime photographie de Gökhan Tiryaki, associée aux plans fixes que favorise le cinéaste Nuri Bilge Ceylan, donne naissance à des séquences qui se savourent comme des tableaux de maître. La moitié du film se déroule de nuit, avec pour seules sources de lumière les phares d’une jeep et le clair de Lune, créant une atmosphère surnaturelle. Dans cette première partie qui prive le spectateur de repère et d’un protagoniste auprès de qui s’attacher, les êtres se dévoilent au fil des dialogues qui permettent de tuer le temps, comme figé par cette recherche interminable.

Parmi toutes les thématiques abordées au cours de cette laborieuse investigation, l’une des plus intéressantes est probablement celle du questionnement, de la remise en cause, que ce soit de soi-même ou bien des faits. En parallèle de la recherche du macchabée, il y a une conversation récurrente entre le procureur (Taner Birsel) et le médecin (Muhammet Uzuner), à propos du décès subite d’une femme magnifique, quelques jours après son accouchement, comme elle l’avait annoncé prophétiquement à son mari. Alors que le procureur accepte cette mort comme un phénomène inexplicable, le médecin, en bon homme de science, va explorer les circonstances entourant ce décès dans le but de mettre la vérité à jour. Plus tard, à la découverte du cadavre de l’homme assassiné, lorsque le procureur tient alors le rôle prépondérant dans la résolution de l’affaire, il se révélera comme un être frivole et dilettante, tirant des conclusions hâtives, en parfaite opposition avec la rigueur d’un militaire les assistant.
Autre figure se rangeant dans les personnages méprisables par la pauvreté de leur raisonnement : le commissaire (Yilmaz Erdogan), convaincu fermement de la culpabilité de Kedan, puisqu’il a avoué les faits, et qu’il doit ainsi être traité comme une bête. Ces éléments mèneront le récit à porter un regard désenchanté sur la notion de vérité, sa portée et même son intérêt.

D’aucuns trouveront le rythme du film rédhibitoire, rythme qui permet autant de se délecter des images que de se conduire à l’introspection, au voyage intérieur proposé par un long-métrage sans aucune bande originale. Seul l’environnement ambiant apporte une sonorité, une atmosphère musicale : un bruit électronique en provenance d’une voiture, le vent et le tonnerre, les aboiements de chiens errants. Bien que lourde, l’ambiance d’Il était une fois en Anatolie change parfois de ton grâce à l’humour noir. Un comique de situation, inhérent au drame, se retrouve à plusieurs reprises sur cet étrange cheminement aux nombreuses images anodines mais rémanentes : la chute d’une pomme dans un petit cours d’eau, l’apparition d’une sculpture effroyable dans la pierre, l’angélisme onirique du visage d’une jeune fille, éclairée à la lueur d’une bougie, etc. Tout comme son homologue américain Terrence Malick, Niru Bilge Ceylan parvient, grâce à une mise en scène et une direction d’acteur épatantes, à une puissance cinématographique rare, et ce, sans artifice.

Il était une fois en Anatolie confine au sublime. Aussi éreintant qu’une nuit blanche à errer dans les ténèbres champêtres, il offre au spectateur patient une réflexion riche dans un écrin d’argent. Captivant du premier au dernier plan.

4 étoiles

 

Il était une fois en Anatolie

Film turc
Réalisateur : Nuri Bilge Ceylan
Avec : Muhammet Uzuner, Yilmaz Erdogan, Taner Birsel, Ahmet Mumtaz Taylan, Firat Tanis
Titre original : Bir zamanlar Anadolu’da
Scénario de : Nuri Bilge Ceylan, Ebru Ceylan, Ercan Kesal
Durée : 157 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 2 novembre 2011
Distributeur : Memento Films Distribution


Bande Annonce :

Article rédigé par Dom

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4 commentaires

  1. wow ! quel enthousiasme… en effet le rythme est particulier… et le film est long surtout… (ses précédents films faisaient moins de 2h c’était plus supportable 😉
    j’avoue que mon esprit s’est un peu égaré pendant la projection… je vais encore y réfléchir…

  2. J’ai hâte de découvrir sa filmographie – et de revoir celui-ci !

  3. Ah ouais, tu es vraiment très élogieux envers ce film (de 2h37 !). La bande annonce fait pas envie (comme souvent), mais je pense que je lui laisserai une chance.

    En espérant qu’il gère son temps aussi bien que pour la couleur des sentiments !

  4. Incomparable avec la production Disney. Ici, c’est lent, mais d’une profondeur exquise.

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