Critique : Journal d’une femme de chambre

Benoît Jacquot retrouve Léa Seydoux et Vincent Lindon pour une adaptation du roman d’Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre. Si les deux comédiens cités livrent chacun une belle partition, le film se montre emprunté et peu convaincant, loin du brillant travail de Luis Buñuel en 1964.

Servitude résistante

En adaptant à son tour Journal d’une femme de chambre, Benoît Jacquot se frotte directement à Jean Renoir et Luis Buñuel, qui ont déjà porté ce récit sur le grand écran. L’œuvre de Buñuel, forte, cruelle et ambiguë, réussie en tout point, s’impose forcément comme référence face au film de Jacquot, et bien que leurs récits se développent différemment tout en traitant des mêmes thématiques, l’écart creusé par leurs mises en scènes respectives sidère. Chez Buñuel, avec un noir et blanc élégant, le quotidien de Célestine (jouée alors par Jeanne Moreau) est filmé en courte focale, à l’aide de mouvements simples, explorant par petites touches la demeure et le domaine où elle sert. Chez Jacquot, la caméra épaule et les longues focales diminuent terriblement l’importance du cadre où évolue Célestine, campée par Léa Seydoux. Jacquot, adepte du zoom, use et abuse du procédé, tantôt brillant pour se resserrer sur un visage, tantôt maladroit quand le montage vient y ajouter un contrechamp. En dehors de Clotilde Mollet et Joséphine Derenne, les seconds rôles s’avèrent effroyables de surjeu, quand il ne s’agit pas d’un manque de conviction total dans leurs répliques. La population du XXe siècle est singée – terribles sont les scènes avec le voisin des Lanlaire. Pourtant le film n’est pas un désastre grâce à Léa Seydoux et sa graine de rébellion, servante à l’insolence difficilement contenue mais qui s’applique aussi à sa tâche, s’abandonnant même à une servitude absolue, morale et physique. Les manières et regards de la comédienne construisent un personnage à deux versants, une femme fragile par sa condition, proche de l’esclavagisme pur, mais aussi une femme téméraire et patiente. Face à la figure antisémite du jardinier Joseph (Vincent Lindon) naît un malaise plus vif que dans l’œuvre de Buñuel, où la forte tête de Jeanne Moreau dissonait avec les intentions de son personnage.

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Dans ce Journal d’une femme de chambre, le spectateur accompagne Célestine au service de différents maîtres, dressant alors un portrait plus dense de la bourgeoisie d’antan et de leur rapport de domination avec leurs servants. La relation malsaine entre l’employeur et l’employé, domination d’une classe sur l’autre attise la misère et la haine. Il y a les brimades, comme lorsque madame Lanlaire (Clotilde Mollet) contraint Célestine à faire des allers-retours pour lui apporter le nécessaire pour coudre, mais aussi les avances sexuelles, réduisant encore plus le personnel à l’état d’objet. Et si le corps de Célestine a déjà cédé, le temps et l’expérience la mènent à la résistance, attisée par le personnage méprisable de Joseph, plus développé et mieux traité encore une fois dans la version adaptée par Buñuel et Jean-Claude Carrière. D’ailleurs, malgré l’incommodité et le drame – le meurtre de la petite Claire, expédié dans le hors champ ici –, il y a de l’humour et de l’ironie dans le film de ces deux compères, il y a une authenticité qui n’émerge que trop rarement dans cette nouvelle adaptation parfois formellement ringarde, bien que la photographie de Romain Winding réserve quelques moments de grâce, comme lorsque la lueur d’une lampe caresse les traits délicats de Célestine face à Joseph. C’est bien une joie de retrouver Léa Seydoux dans un premier rôle aussi intéressant, mais au-delà de cet attrait, Journal d’une femme de chambre dans son cru 2015 manque autant de saveur que de fermeté.

2.5 étoiles

 

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Le journal d’une femme de chambre

Film français, belge
Réalisateur : Benoît Jacquot
Avec : Léa Seydoux, Vincent Lindo, Clotilde Mollet, Hervé Pierre, Vincent Lacoste, Joséphine Derenne, Patrick d’Assumçao
Scénario de : , Hélene Zimmer, d’après l’oeuvre d’Octave Mirbeau
Durée : 96 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 1er avril 2015
Distributeur : Mars Distribution

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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