Peur de rien : entretien avec Danielle Arbid

La réalisatrice franco-libanaise Danielle Arbid était au dernier Festival de cinéma européen des Arcs avec son long métrage Peur de rien, présenté en compétition. Le 17 décembre 2015, j’ai pu rencontrer la réalisatrice pour évoquer le parcours de son héroïne Lina, jouée par Manal Issa, parler de rock, d’immigration et de cinéma.

Dominique Maury-Lasmartres : Dans quelle mesure le parcours de Lina reflète-t-il le votre ?
Danielle Arbid : Il ne le reflète pas, c’est mon parcours. Je parle de quelque chose de personnel pour arriver à quelque chose de personnel chez le spectateur. Je pense que le cinéma traite du plus intime chez l’auteur pour atteindre l’intime chez le spectateur. Après j’ai un point de départ particulier puisque c’est une libanaise qui arrive à Paris dans les années 1990 et tout le monde ne l’est pas, mais je pense que le film prend tout de suite ses marques et s’ouvre. Tout le monde peut s’y identifier.

D.M.L : Manal Issa est une véritable révélation dans le film, comment avez-vous trouvé cette comédienne ?
D.A. : En profilant des visages sur internet. C’est à dire que je cherchais quelqu’un qui me ressemble et qui ressemblait aussi à la petite fille de mon premier long métrage, Dans les champs de bataille, et en fait, c’est un peu la suite de ce dernier. La fille avait dix ans et c’est un peu le même genre de famille, et c’est l’idée de faire une sorte de 400 coups, en toute modestie. La fille qui jouait dans mon film en 2004 ne pouvait pas jouer là, elle faisait médecine et il aurait fallu que je la recast pour voir si elle était apte mais elle était formidable à l’époque. Mais elle finissait ses études et c’était compliqué pour elle d’arrêter six mois et moi je ne pouvais pas attendre donc on a lancé un casting de 700 filles.

D.M.L : Il s’agit en plus du premier film de Manal Issa.
D.A. : Oui, elle est ingénieure, elle ne savait même pas ce qu’est un casting lorsqu’on l’a appelée. Mon assistant passait en revue des visages, des profils d’amis d’amis. C’est à dire que les gens qui ne nous ont pas envoyé leur candidature, on les sollicitait nous-même, avec des gens sans aucun rapport avec le cinéma puisque l’on cherchait dans les universités et écoles. Elle a donc découvert le cinéma et même la cinéphilie car elle ne regardait pas beaucoup de films avant. Après elle a joué dans un film de Bonello. Damien Chapelle [qui joue dans Peur de Rien, ndlr] a parlé d’elle et ils l’ont prise.

Manal Issa et Damien Chapelle dans "Peur de rien"

Manal Issa et Damien Chapelle dans « Peur de rien »

« J’ose espérer qu’il y a de l’humanité dans chacun de nous. »

D.M.L : Le rock et notamment Franck Black tiennent une place importante au cœur du film. Que représente ce mouvement musical pour vous ?
D.A. : Le rock en général a bercé mon enfance. C’était au Liban mais on écoutait beaucoup de choses mais j’ai mis toutes les musiques que j’aime. Pour moi la musique c’est synonyme de liberté, c’est une fenêtre vers l’extérieur. Ca me faisait rêver quand j’étais petite d’écouter des morceaux comme ça. Il se trouve que dans les années 90 j’ai découvert Frank Black et les Pixies et j’avais envie de les utiliser. On a contacté Frank Black d’ailleurs et il était disposé à faire un concert pour le film mais on a utilisé des images d’archive pour des questions de budget.

D.M.L : Lina fréquente des personnes de tout bord politique. Quels que soient leurs idéaux vous ne portez aucun jugement sur eux. Que traduit cette neutralité du regard ?
D.A. : Ce n’est pas de la neutralité, c’est une liberté parce que je me dis que tout le monde a ses raisons. Le monde n’est pas fait de gens uniformes alors pourquoi les films devraient être composés de gens uniformes ? Alors il y a la une liberté de parole. Il y a donc des gens aux idées politiques douteuses dans le film mais ils ne sont pas non plus monstrueux. J’ose espérer qu’il y a de l’humanité dans chacun de nous. Et je voulais montrer aussi cet aspect drôle de rencontrer des gens aussi différents, car quand je suis arrivé à Paris j’ai abordé des skinheads avec une certaine ignorance et je pensais que c’était possible de discuter avec eux. J’aurais été élevée à Paris je n’aurais jamais pu ni oser faire ça mais c’est ce truc de regard où vous n’avez pas les codes de la société. Tout le film est sur les codes : qu’est-ce que c’est, la France ? Je me suis dit, en général, ce sont les immigrés qui sont observés, mais là c’est elle qu découvre, elle est tournée vers la France et elle les observe. C’était ça le principe.

D.M.L : Le film traite de l’immigration avec beaucoup d’intelligence. Dans le contexte politique actuel, que pensez-vous qu’il est nécessaire de faire pour faire changer le regard des gens, la peur, le rejet, que l’on peut éprouver face à l’étranger ?
D.A. : Ce que je trouve dommage en France c’est de parler de l’immigration tout le temps aux informations, ça devient du rabâchement, et cela devient un peu douteux. Les gens viennent ici avec de grands rêves, sinon ils seraient restés chez eux. Ils ne viennent pas avec des idées de complot, ils viennent avec une page blanche, tous ces gens qui risquent leur vie en mer. Ils viennent avec l’amour, ils aiment déjà le pays où ils vont. Ils le fantasment tellement. Moi j’étais dans cette situation là. Ils sont prédisposés à l’aimer sans le voir. Ils se disent : « Je vais être heureux ici, donc tous les gens vont être gentils. Ca va être génial. » C’est ça la mentalité d’un étranger, ce n’est pas le danger comme « je vais prendre l’argent des autres ». Ca va être formidable, mes enfants vont être heureux, je vais être heureux. Ce sont des grands rêves d’avenir. C’est une richesse d’avoir ces gens là avec leurs grands rêves.

D.M.L. : Il y a une patte rétro assez élégante dans la photographie du film, qui se passe dans les années 1990, mais ça lui donne plutôt un côté seventies. Pourriez-vous expliquer ce choix esthétique ?
D.A. : Je voulais une image assez douce, très lumineuse, très colorée. Une image vivante, vivifiante. Je n’ai pas pensé aux années 70 mais je m’inspire beaucoup de la photo. J’ai montré à ma chef op Hélène Louvart beaucoup de photos, notamment d’une photographe américaine que j’aime bien, Olivia Bee, qui photographie beaucoup la jeunesse.

Rainer Werner Fassbinder

Rainer Werner Fassbinder

« A chaque film, Fassbinder me donne quelque chose de personnel. »

D.M.L. : Quels sont les cinéastes qui vous influencent dans votre travail ?
D.A. : Je dirais que personne ne m’influence. Ce sont les photographes qui m’influencent, visuellement. Je fais d’ailleurs de la photo aussi. Et je ne regarde pas de films avant de me lancer dans un film. J’en montre à mes acteurs mais je n’en regarde pas. Sinon j’aime beaucoup de cinéastes, par goût, comme Fassbinder, qui était très humaniste et subversif. Je cherche un pendant dans le cinéma contemporain mais n’en trouve pas. Aussi fort, aussi humaniste mais à la fois subversif. J’ai l’impression qu’à chaque film, Fassbinder me donne quelque chose de personnel. Sinon j’aime beaucoup le cinéma américain des années 70, Renoir, Melville. Là récemment j’ai découvert un cinéaste suédois qui s’appelle Bo Widerberg et notamment Adelen ’31 que j’adore.

D.M.L : Et donc vous avez montré quels films à vos comédiens avant le tournage?
D.A. : A Manal j’ai montré beaucoup de films comme elle n’en avait pas vu énormément. Rosetta, des films de Truffaut, des films d’initiation. A Vincent j’ai offert des livres sur les mouvements contestataires, je l’ai immergé dans ce monde là. Avec Paul on a pas beaucoup travaillé ensemble parce que je l’ai rencontré deux semaines avant le tournage. Et avec Damien on a parlé du cinéma en général, sa culture est très éclectique. On a parlé du théâtre mais comme il vient de la danse nous en avons parlé aussi. En fait c’est surtout que je côtoie mes acteurs, je vais boire des coups avec eux. J’aime beaucoup l’amitié. Je leur vole plein de choses. Je me dis « Tiens il parle comme ça ». Je vois alors ce qu’ils aiment ou non, comment ils disent les choses. En préparation je ne répète pas mais j’essaie de capter un maximum d’informations sur eux pour les exploiter.

Entretien réalisé le 17 décembre 2015 lors du 7ème Festival de cinéma européen des Arcs. Merci à Cartel et Allociné.
Peur de rien, un film de Danielle Arbid, en salle depuis le 10 février 2016.

Article rédigé par Dom

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