Critique : L’Origine du mal

Après Irréprochable (2016) et L’Heure de la sortie (2019), Sébastien Marnier continue d’explorer l’univers du thriller avec L’Origine du mal, œuvre captivante et maîtrisée où se côtoient de brillantes comédiennes.

Retrouvailles ombrageuses

Stéphane (Laure Calamy) parvient à entrer en contact avec son père qu’elle n’a jamais connu. La rencontre tant attendue avec Serge (Jacques Weber) a lieu : c’est un homme affable et respectable, chef d’entreprise qui fut, entre autres, maire de Hyères. Serge invite cette nouvelle fille à rencontrer celles qui partagent sa vie dans une villa à la décoration étrange, presque kitsch, surchargée en œuvres et bibelots en tout genre. Il y a naturellement un fossé immense entre cette femme qui travaille dans une usine de conserve de poissons et ce milieu bourgeois, qui rapproche dans une certaine mesure ce nouveau film à l’œuvre de Claude Chabrol, bien que le style soit fort différent. Un fossé qui poussera Stéphane à mentir à table sur sa situation professionnelle, un petit mensonge de rien du tout : devant cette nouvelle – et unique – famille, elle n’est pas une simple employée qui s’imprègne des douces odeurs de poisson mais la cheffe de cette modeste et récente entreprise. Un élément qui pèsera sur l’acceptation de cette nouvelle venue dans la famille, notamment pour cette autre fille, Georges (Doria Tillier), qui agit déjà avec succès dans l’entreprise de son père et envisage un héritage imminent, la santé de Serge n’étant pas au plus haut. Si soudain Stéphane se retrouve littéralement à la porte d’une nouvelle vie, elle semble avant tout s’attacher à cette figure paternelle, ces liens du sang, plutôt que de miroiter sur les parts d’un héritage qu’évoquent régulièrement Georges et sa mère, la doucement extravagante Louise (Dominique Blanc).

Par sa demeure intimidante, ses choix de mise en scène, des cadres à l’emploi cloisonnant du split-screen, L’Origine du mal génère un suspens malin au fur et à mesure qu’il dresse ces portraits de femme. Il y a donc au centre Stéphane, excellente Laure Calamy qui navigue entre différentes tonalités avec son aisance habituelle, mais aussi un énigmatique personnage plus éloigné, confiné dans les murs d’une prison, interprété par une Suzanne Clément amoureuse et hargneuse. Dominique Blanc et Doria Tillier impressionnent sans emphase tandis que la servante, jouée par Véronique Ruggia Saura, ainsi que la fille de Georges, jouée par Céleste Brunnquell, apportent chacune une couleur particulière à cette recomposition familiale à la fois sèche et houleuse. C’est donc une troupe exclusivement féminine qui gravite autour de Serge, un fils ayant disparu du tableau de nombreuses années auparavant. Avec la musique évolutive de Pierre Lapointe, touchant au cœur du film à des atmosphères proches du giallo, le troisième long métrage de Sébastien Marnier se présente comme le plus sophistiqué de sa carrière, et probablement le plus abouti. Lorsque tous les enjeux sont révélés au spectateur, le film joue avec brio sur les relations et ambitions de tout un chacun, provocant de vives tensions et des oppositions pouvant conduire sur de multiples issues. Jouant avec nos attentes grâce à l’ambivalence de ses protagonistes, finement écrits et interprétés, Sébastien Marnier saisit les tics de la famille bourgeoise comme un Claude Chabrol ou un Luis Buñuel. Le chapitre final de ce thriller parfaitement ficelé touche au véritable délice pour tout amateur du genre, faisant de L’Origine du mal une des grandes réussites de l’année 2022, déjà si riche en thrillers et polars européens de qualité.

Photos du film Copyright Laurent Champoussin / The Jokers