Critique : Le Diable, tout le temps

Réalisateur méconnu, Antonio Campos s’inscrit dans la liste des réalisateurs américains à suivre avec Le Diable, tout le temps, distribué par Netflix. Ce thriller se déroulant sur deux décennies en Virginie-Occidentale montre un visage terrible de l’Amérique avec une belle bande d’acteurs, avec en tête, l’émancipation de Tom Holland hors des marvelleries.

Une histoire de violence

Adaptation du roman éponyme de Donald Ray Pollock, qui offre d’ailleurs sa voix pour la narration du film, Le Diable, tout le temps porte dans son titre toute son essence. Dans une Amérique à la fois martiale – le film débute à l’issue de la Guerre du Pacifique et se déroule ensuite en parallèle de la guerre du Vietnam – et profondément croyante, le mal se trouve absolument partout. Particulièrement dense par ses nombreux personnages ainsi que la période temporelle couverte, ce film croise plusieurs destins d’un même bled et de familles proches sous le sceau de la fatalité. Axé autour d’Arvin Russell, joué à l’âge adulte par Tom Holland, au jeu fin, ce thriller prend le temps de développer l’enfance de ce protagoniste, son rapport avec ses parents, notamment son père traumatisé par son passé de soldat, campé par un Bill Skarsgård dont la carrure et le charisme ici invoquent ceux d’un acteur comme Michael Shannon. La violence découle d’un passé militaire et perdure grâce aux sacro-saintes armes à feu, une violence qui se niche aussi là où on ne l’attend pas, dans les rangs d’une église qui permet à des êtres monstrueux de prêcher et pêcher impunément – du moins, la punition tombe en dehors du domaine de la loi. Les révérends campés par Harry Melling et Robert Pattinson – tous deux un brin cabotin, mais en restant plaisants – incarnent cette insidieuse dualité sous diverses formes. En parallèle, un couple représente le mal absolu, tueurs en série qui immortalisent leur dépravation dans des photographies morbides et pornographiques. Ce couple joué par Riley Keough et Jason Clarke reste pourtant un élément au second-plan, comme le frère de cette jeune femme peu fréquentable, shérif ambitieux joué par Sebastian Stan, ouvrant le film sur un versant liant mœurs et politique locale.

Dans cette œuvre sinistre, dont la bande originale de Danny Bensi et Saunder Jurrians évoque le travail de Jonny Greenwood sur la fresque pétrolière There will be blood de Paul Thomas Anderson, notamment par le travail d’atmosphères dramatiques au piano, l’horreur est regardée frontalement mais avec un certain détachement. La mise en scène adoptée, près des personnages, ne s’attarde jamais sur les nombreux actes sordides et la voix-off qui relate les faits complémentaires conserve une forme de neutralité de ton : le film n’est jamais pesant, jouant sur le suspense lors de quelques rencontres et confrontations. Il y a de quoi créer une distanciation avec ces événements, mais le destin incertain d’Arvin face à ce qui survient, et le fait de connaître parfaitement son passé, en font un personnage passionnant à suivre. Ce sont de simples détails qui affectent la trajectoire complète de ce jeune homme marqué au fer rouge par les événements tragiques de son enfance. Lugubre et poisseux, ce récit d’une grande noirceur ne porte aucun jugement moral sur ces maux affectant la société américaine. Le Diable, tout le temps cherche toutefois le salut à l’échelle individuelle, étape primordiale pour basculer tout un monde hors des ténèbres. Antonio Campos signe une œuvre appliquée qui séduira les amateurs de thriller aux contours cauchemardesques.

3.5 étoiles

 

Le Diable, tout le temps

Film américain
Réalisateur : Antonio Campos
Avec : Tom Holland, Bill Skarsgård, Haley Bennett, Riley Keough, Harry Melling, Robert Pattinson, Jason Clarke, Sebastian Stan, Mia Wasikowska, Eliza Scanlen, Kristin Griffith
Titre original : The Devil all the time
Scénario de : Antonio Campos et Paulo Campos, d’après un roman de Donald Ray Pollock
Durée : 138 min
Genre : Thriller, Drame
Date de sortie en France : 16 septembre 2020
Distributeur : Netflix France

 

Article rédigé par Dom

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