Rencontre : Bouli Lanners artiste militant

Alors que cette semaine, la jeune activiste Greta Thunberg a été l’objet du dédain d’une partie de la caste politique française lors de son passage à Paris, que les députés ont ratifié grâce à une infime majorité le sordide accord du CETA et que de nombreuses villes européennes ont battu des records historiques de températures, retour sur une rencontre qui s’est déroulée le mois dernier, à Bruxelles, avec le cinéaste et comédien belge Bouli Lanners alors qu’il tenait une carte blanche « Green Planet » dans le cadre de la seconde édition du BRIFF. Une interview sans tabou, où l’on évoque l’énergie nucléaire, le désastre écologique en cours, Leonardo DiCaprio et la littérature américaine.

Lors de la seconde édition du Brussels International Film Festival, qui s’est déroulée du 20 juin au 29 juin 2019, Bouli Lanners a concocté un programme de six films ancrés dans la thématique écologique. Un programme qui se constituait de quatre longs métrages, Fukushima – Le Couvercle du Soleil de Futoshi Sato (2018), La Route de John Hillcoat (2009), Woman at war de Benedikt Erlingsson (2018), Un Héritage empoisonné d’Isabelle Masson-Loodts, et de deux courts métrages, L’île aux fleurs de Jorge Furtado (1989) et There is no tomorrow de Dermot O’Connor (2012).

« Faire bouger les lignes ne passera que par la rue »

Vous avez été invité pour une carte blanche au BRIFF et vous n’avez sélectionné que des films consacrés à l’écologie. Pourquoi ?

Bouli Lanners : En fait on m’a proposé d’axer cette carte blanche sur l’écologie, ce n’est pas un diktat de ma part. Et j’ai choisi des choses qui me tiennent à cœur, donc des films qui permettent un débat sur le nucléaire mais aussi des fictions qui peuvent parler de l’effondrement, tout en essayant de finir sur une touche un peu plus optimiste avec Woman at war, qui est plus léger alors que la problématique ne prête pas à l’optimisme. Pour moi il est important de parler du climat, du nucléaire, de la pollution, toutes ces choses qui sont interconnectées parce que cela va nous impacter directement, avec des répercussions géopolitiques graves dans peu de temps.

Comment vous avez procédé à cette sélection de films  ?

BL : Woman at war est assez récent et je pense qu’il n’a pas été assez vu encore. La Route c’est un Pulitzer en littérature mais je n’ai pas l’impression que le film a eu un grand succès public. Ce sont deux films qui m’ont marqué. Ensuite j’ai pris des films vraiment peu vus, comme celui d’Isabelle Masson-Loodts qui traite de la mémoire avec les obus enfouis après la guerre 14-18. C’est une journaliste et historienne que je connais et son film a peu été diffusé à la TV. Il y a ce film brésilien que j’ai découvert il y a 30 ans (L’île aux fleurs, N.D.L.R.), il m’avait bouleversé à l’époque et la problématique est toujours la même aujourd’hui. Le film sur Fukushima je ne l’avais pas vu, c’était donc l’opportunité de faire une découverte avec le public.

Ici à Bruxelles l’avenir de l’Europe se joue notamment avec le Parlement européen. On sent qu’il y a une prise de conscience citoyenne mais pas forcément du côté des élus. Récemment la loi de neutralité carbone pour 2050 n’a pas pu être adoptée. Pour vous, comment peut-on faire bouger les lignes concrètement ?

BL : Je pense que faire bouger les lignes ne passera que par la rue. Il faut intégrer une notion de décroissance dans l’équation. Tant qu’on ne l’intègre pas, elle ne sera jamais résolue. Dans une société consumériste, qui pousse à de plus en plus de consommation, le non-impact est impossible. Il va falloir décroître et gérer sa consommation. On ne trouvera pas une énergie qui nous permettra d’avoir aucun impact sur la planète tout en consommant comme aujourd’hui. On sait qu’on a dépassé les pics d’exploitation de tous les minerais et dans quarante ans il n’y aura plus d’uranium. Donc il faut décroître, or dans un système démocratique comme le notre, je ne vois pas un homme politique qui pourrait être élu en promettant moins aux gens. Souvent on associe la décroissance au fait de posséder moins, ce qui est vrai, mais ce n’est pas une notion passéiste ni un retour dans les temps obscurs du Moyen-Âge, c’est une évolution nécessaire de la société. Et comme l’exemple ne viendra jamais d’en haut, c’est à la société civile de reprendre en main ce débat éthique, et les politiques devront suivre. Normalement c’est dans ce sens là que ça se passe mais la classe politique est devenue une sorte de nomenklatura qui donne l’impression d’avoir inventé la société civile, alors que c’est l’inverse. Il faut redéfinir les choses et les priorités. Nous avons les cartes en main, c’est à nous de jouer, et ça ne passera que par la rue. Et pour aller dans la rue, il faut être au courant, et donc il faut diffuser l’information et casser la contre-information qui vient des lobbys.

Face à l’ultra-consumérisme et à la production massive des industriels, comment résonner les gens sur leur façon de consommer ?

BL : Il faut que les gens saisissent que le profit n’a jamais été le moteur des sociétés depuis toute l’histoire de l’humanité. Cette société de consommation n’a que 300 ans, et tout le monde y a accès, en occident, depuis la fin de la guerre. Et ceux qui n’y ont pas accès ne rêvent que de ça puisqu’on leur a vendu ce concept. Il faut inverser l’ordre des valeurs, il faut rééduquer les gens, redonner des cours d’histoire pour expliquer d’où nous venons. Le profit n’est pas une donnée de l’ADN de l’homme. Avant, le profit était même interdit pour les catholiques. Il y a tout ce travail à effectuer mais qui est lié à une véritable urgence, je suis assez pessimiste mais j’y crois toujours sinon je ne militerai pas, mais je pense que nous allons être rattrapés par une forme d’effondrement et cette décroissance suivra forcément. Dans certaines parties de la France rurale qui est complètement oubliée par les pouvoirs publics, les gens participent à ce mouvement de décroissance inconsciemment, ils recréent des circuits courts par nécessité, des échanges par nécessité, uniquement pour des questions de survie. Le problème c’est si cette décroissance s’impose subitement à toute la société il y aura de la violence, des guerres civiles. L’effondrement de la société ne me fait pas peur, c’est ce que ça va générer qui m’effraie.

Bouli Lanners et Albert Dupontel sur le tournage du film « Les Premiers les derniers »

Votre dernière réalisation, Les premiers les derniers évoque l’apocalypse au travers de problématiques sociales et existentielles. Est-ce que la prochaine étape sera de réaliser un film sur le dérèglement climatique ?

BL : Non je ne pense pas, j’ai l’impression que je serai moins fort. Dans Les premiers, les derniers il y a ce sentiment de fin du monde qui habite les personnages mais ils sont surtout habités par des problèmes existentiels. Mon prochain film est une histoire d’amour, parce qu’on en a aussi besoin, on a besoin de rêver, mais c’est une histoire d’amour sous l’axe de l’échéance. Il faut se rappeler que c’est une chance d’être en vie, aujourd’hui et ici. Si on est croyant c’est un miracle d’être en vie, et si on est scientifique ça tient du coup de bol. Mon film va donc parler d’une échéance et comment aborder la vie avec. Quand on ne se réfère qu’à des chiffres en étant militant, c’est extrêmement déprimant, j’ai donc aussi besoin de rêver et de trouver cet équilibre entre les chiffres que j’ingère et ce besoin d’aimer et de vivre de manière absolue. C’est d’ailleurs ce besoin de vie qui nourrit mon militantisme. C’est aussi important pour moi de continuer mon travail de comédien et d’avoir une parole citoyenne en parallèle.

L’industrie du cinéma n’est pas toujours verte, on sait par exemple que sur le tournage d’Expendables 2 toute une population de chauve-souris a été décimée en Bulgarie. Comment pousser cette industrie vers l’écologie ?

BL : L’industrie du cinéma, comme toutes les autres, doit être soumise à des quotas, à une législation plus stricte. Toute la société civile devrait respecter des règles qui n’ont pas encore été établies.

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé sur un plateau de cinéma d’être témoin d’une chose qui vous a révolté en matière d’écologie, de gaspillage ?

BL : Plus d’une fois ! Et bien avant que je ne commence ma carrière de militant. Sur des grosses productions, de manière écœurante. Ce sont mes plus mauvais souvenirs de tournage, et c’est pour ça que je ne participe plus à de grosses productions. Je favorises les petites productions, les films d’auteur. Ca paye moins bien, l’impact sur le public est moindre, mais les gros films me rendent malheureux pour tout ce que ça génère. Je ne prends jamais l’avion non plus, ce qui limite forcément mes choix. Si on me demande de faire un tournage à Chypre je n’irai pas. J’ai été amené à prendre trois fois l’avion dans ma vie.

Que pensez-vous de l’activisme à la Leonardo DiCaprio, qui d’un côté montre un vrai engagement, mais de l’autre, semble mener une vie en opposition avec les valeurs défendues ?

BL : Je ne juge pas la manière dont chacun vit. Pour moi ce qui compte s’il a une parole militante, c’est qu’elle soit diffusée le plus possible. Ce sera beaucoup plus efficace que de l’attaquer ou de pinailler sur des éléments de sa vie privée. Après, c’est à lui de se mettre en accord avec sa parole mais ça ne me regarde pas.

Leonardo DiCaprio dans « The Revenant »

Quels ont été vos derniers chocs cinématographiques ?

BL : Justement j’ai découvert tardivement The Revenant avec Leonardo DiCaprio. Je l’ai vu en salle il y a deux mois et ça a été une claque monumentale. Mais je n’ai pas eu de grands émois cinématographiques ces derniers temps, il y a eu certaines séries mais je suis plus axé sur la littérature en ce moment. En fait je lis beaucoup plus que je ne vais au cinéma pour être franc. Il y a une nouvelle école de jeunes auteurs américains du Midwest comme Benjamin Whitmer avec Evasion ou encore Cry father que j’adore, ou sinon Chris Offutt. Ils représentent tous deux le top pour moi actuellement. J’ai aussi adoré Sauvage de Jamey Bradbury, un récit où la nature est très présente et c’est socialement très puissant.

Est-ce que vous pensez qu’un film peut changer la société ?

BL : Un film peut marquer une génération, c’est une certitude. J’ai été marqué par des films dans ma jeunesse, notamment The Day after (de Nicholas Meyer, sorti en 1983, N.D.L.R.). C’est un film qui m’a poussé à militer contre le nucléaire à l’époque. Mais aujourd’hui avec tous les réseaux sociaux, est-ce qu’un film peut avoir un impact aussi fort ? A l’époque quand un film sortait, tout le monde le voyait. Kramer contre Kramer a été un film déterminant dans notre conception de la paternité et du divorce, il y a des films qui ont marqué les gens socialement et j’ai l’impression qu’aujourd’hui avec la multiplicité de ce que l’on peut voir, les films ont peut-être moins d’impact.

Si vous pouviez exaucer un vœu pour l’avenir, ce serait quoi ?

BL : Que l’homme se rende compte que nous ne sommes pas au bord du précipice mais que nous avons déjà un pied dans le vide. Les choses ne vont pas venir, elles ont commencé. C’est comme dans les mauvais films catastrophe, il y a juste deux mecs dans un laboratoire qui savent mais les autres ne veulent rien entendre. On est dans un truc comme ça. Le suicide ne va pas se faire, le suicide a commencé. Est-ce qu’on va se réveiller un jour ? J’hallucine sur la capacité que nous avons d’occulter l’essentiel. Même avec des amis quand on a des débats sur le nucléaire, ça gave mes potes, ils ne veulent pas en parler. On ne veut pas voir ce qui se passe. Et c’est encore plus terrible d’être dans cette situation là quand on a des enfants, ce qui n’est pas mon cas, je pourrai donc m’en foutre, profiter de ce qui vient et mourir dans quinze ans, mais certains ont des enfants et vivent dans un déni que je ne comprends pas.
J’étais très content de voir toute cette jeunesse manifester dans la rue, et même si ça a été récupéré, je m’en fous : ils étaient dans la rue, et d’un coup il y a un message politique. Même si au début certains le faisaient pour ne pas aller en cours, il y a une sorte d’auto-éducation qui se déroule au travers de la manifestation, je trouve ça super. Il y a une prise de conscience chez les jeunes : il était grand temps ! Parce que les centrales nucléaires vieillissent mais les militants aussi ! Nous aussi on est micro-fissurés, il faut que la relève vienne.

On est aussi confrontés à des promesses non tenues : en France on devait voir la centrale nucléaire de Fessenheim fermer sous le quinquennat de François Hollande et au final, rien n’a été fait.

BL : De nouveau en France on a occulté le débat. Je suis allé voir les zadistes à Bure, une vraie zone de guerre, très impressionnante… Le nucléaire en France c’est EDF, et en Belgique c’est Engie Electrabel, une société française. Engie développe en France l’énergie renouvelable en disant que le nucléaire est moribond, qu’on doit aller vers le renouvelable, alors qu’en Belgique, ils tiennent le discours opposé parce que les intérêts et les capitaux sont différents, ainsi que la rentabilité. Tout est une question de finances et de lobbys. C’est dingue.

Propos recueillis à Bruxelles le 22 juin 2019 dans le cadre de la 2nde édition du BRIFF – un grand merci aux équipes du festival.

Article rédigé par Dom

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