Critique : Paranoïa

Dans la continuité de Logan Lucky, Steven Soderbergh poursuit son retour à la réalisation loin des contraintes et budgets dantesques des films de studio. Avec Paranoïa le cinéaste livre un petit thriller prenant, tourné à l’aide d’un téléphone mobile.

Système malade

De plus en plus multitâches et performants dans leurs fonctionnalités annexes, les téléphones permettent à quiconque de filmer, et donc, par extension, de réaliser des films. Sean Baker s’était fait remarquer pour cela avec Tangerine il y a quelques années, et c’est désormais Steven Soderbergh qui adopte cet outil fort économique : il réduit le nombre de techniciens sur le plateau, permet de passer d’un plan à l’autre bien plus rapidement, implique moins de machinerie et permet aussi de mettre en place facilement des plans qui seraient bien plus compliqués avec une caméra. L’emploi de téléphones pour filmer implique ensuite d’accepter une esthétique particulière, d’une part car leurs capteurs, très petits, réagissent différemment aux sources lumineuses, mais aussi car il y aura moins d’amplitude de corrections et modifications en post-production : moins de coûts encore une fois. Ainsi, s’il est possible d’appliquer des optiques sur certains téléphones, et Soderbergh exploite énormément un grand angle déformant les perspectives ici, méthode parfaite pour diffuser une atmosphère anxiogène avec des plans fixes qui pourraient être parfaitement anodins autrement, il se dégage une esthétique particulière, loin des standards du numérique, avec des zones « cramées » et aplats de couleur. Mais plane le danger de se perdre dans l’expérimentation sans cohérence, chose à laquelle Soderbergh est loin d’avoir succombé.

L’argument initial de Paranoïa, dont le scénario est signé par Jonathan Bernstein et James Greer, reste classique : Sawyer Valentini (Claire Foy), une jeune femme active, se retrouve internée contre son gré dans un institut psychiatrique. Elle tente en vain de démontrer qu’elle n’a rien à faire ici jusqu’à se résigner à passer toute une semaine dans l’établissement où une femme visiblement dérangée la provoque, Violet (Juno Temple), tandis qu’un autre patient, Nate (Jay Pharoah), lui affirme qu’elle est enfermée dans le cadre d’une arnaque à l’assurance. Ce qui fait basculer le film est la présence dans le personnel médical de David Strine (Joshua Leonard), un homme qui harcèle Sawyer depuis des années. Fabulations de la jeune femme ou danger réel ? La seconde option se précise alors qu’elle ne peut rien faire pour quitter l’institut. Si le film séduit par son atmosphère, sa forme de minimalisme, il y a, face au téléphone de Soderbergh, une actrice brillante : Claire Foy. La comédienne britannique dégage une telle palette d’émotions dans son jeu, et ce, dès le début du film qui pointe un élément qui cloche chez son personnage, lorsqu’elle ramène un rancard du net chez elle pour une soirée de sexe sans lendemain, pour prendre peur à quelques pas de sa propre chambre. Un traumatisme ? Un trouble de la personnalité ? La question reste en suspens longtemps face au stress et actions nerveuses que provoquent son enfermement dans un lieu exploitant son potentiel « faux problème » : Sawyer est prisonnière d’un système économique malade, à l’inverse de Soderbergh qui est sorti d’un système cinématographique gangrené – mais le cinéaste est-il réellement parvenu à s’en échapper totalement ?

Dans son vicieux duel psychologique, le nouveau Soderbergh perd probablement en énergie ce qu’il gagne en dramaturgie dans sa seconde partie. A la lisière du film d’horreur, Paranoïa confronte un homme malade à un certain degré à une femme dépourvue de toute défense, objet dont la parole n’a aucune valeur. Les mouvements de caméra – de téléphone-caméra – se limitent à quelques panoramiques et travellings, situant le film dans un entre-deux bluffant, entre cinéma d’esthète et l’esthétique de la caméra surveillance. Sortir de l’établissement et échapper aux griffes de David ne sont même pas une finalité : dans le monde extérieur, dans sa « normalité », le mal peut surgir à nouveau, fardeau dont il est impossible de se soustraire. Echappe-t-on réellement un jour à un système, social ou nerveux, gangrené, perverti ? Avec un personnage passionnant et dans une économie formidable pour un réalisateur de la trempe de Steven Soderbergh – le film est estimé à 1,2 million de dollars pour 10 jours de tournage –, Paranoïa représente une vraie réussite dans un genre parfois en manque d’oxygène.

3.5 étoiles

 

Paranoïa

Film américain
Réalisateur : Steven Soderbergh
Avec : Claire Foy, Joshua Leonard, Jay Pharaoh, Juno Temple, Amy Irving, Polly McKie
Titre original : Unsane
Scénario de : Jonathan Bernstein, James Greer
Durée : 98 min
Genre : Thriller
Date de sortie en France : 11 juillet 2018
Distributeur : Twentieth Century Fox France

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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