Cannes 2018 : évolution et paradoxes

Aujourd’hui, mardi 8 mai 2018, débute la 71ème édition du Festival de Cannes. En attendant le coup d’envoi, nous nous penchons sur les changements opérés après l’édition anniversaire et regardons de plus près les cinéastes dont les œuvres peuplent la compétition.

Netflix en froid

Les festivals les plus anciens et réputés se doivent d’évoluer avec le temps, pour suivre un cinéma qui change aussi, tout comme la société dont il à la fois le reflet, le fantasme et le témoin. En 2017, un nouvel acteur était accueilli à Cannes par la grande porte, au sommet d’une volée de marches avec deux films en compétition, Netflix – avec les films Okja et The Meyerowitz Stories. Une présence qui a suscité une vive hostilité de la part d’une majorité des exploitants de salle de cinéma, mais aussi de distributeurs tirant la sonnette d’alarme en rappelant qu’en France, il y a une chronologie des médias stricte – et qui mériterait d’être dépoussiérée, d’évoluer aussi avec la société, mais que peut-on attendre d’une Ministre de la Culture fantomatique, qui pense pouvoir combattre le piratage des œuvres avec la futile Hadopi, dans une traque des vilains sites offrant des films en quelques clics et de leurs visiteurs hors-la-loi ? Sabordage – ou, en version officielle, une erreur – de la première séance d’Okja et sifflements désespérants furent le fruit de cette première incursion du géant américain de la SVOD sur la croisette. Depuis, Netflix a permis a de nombreux cinéastes de renom de réaliser des films dans un cadre économique plus sain qu’avec certaines sociétés de productions classiques. Pour une future et éventuelle diffusion limitée dans les salles américaines, et l’assurance d’une disponibilité exclusive sur internet en France.

La salle de cinéma sera toujours l’antre véritable de la cinéphilie, mais avec les installations de home cinéma de plus en plus performantes, il est facile aujourd’hui de visionner ou de projeter des films à domicile dans d’excellentes conditions. Les films Netflix restent des œuvres de cinéastes, et donc, du cinéma. Le cinéma, point qui marque la violente et prématurée rupture entre le Festival de Cannes et Netflix : à quelques jours de l’annonce de la sélection officielle, Thierry Frémaux se protège d’un nouvel incendie sur la planète 7ème art. Netflix pourra revenir, mais hors compétition – ils auraient adoré l’expérience du tapis rouge, d’après le délégué général du festival – suite à l’instauration d’une nouvelle règle, imposant la distribution en salle des films présentés en compétition – historiquement, avant Netflix, des films qui n’auront jamais été distribués dans les salles françaises avait pourtant pu participer à l’événement.
La réponse se fait guère attendre de la part des américains, soit Netflix sera traité d’égal à égal avec les autres films, soit leurs films seront tout simplement retirés. Si les détails du bras de fer restent un mystère, nous voilà avec une sélection officielle entièrement dépourvu des films Netflix. Or, il était fort probable de voir sélectionnés les nouveaux longs métrages de Jérémy Saulnier, Paul Greengrass et d’Alfonso Cuarón. Des proposition alléchantes rien que sur la base du nom de leur créateur. Sans terrain d’entente, pas de Netflix cette année, sûrement au profit d’autres cinéastes puisque la Sélection Officielle se montre riche sur tous les versants, en compétition et hors compétition.
Au final, qui se retrouve pénalisé par ce conflit ? Les cinéastes et leurs équipes, ainsi que les cinéphiles, avides de découvertes cinématographique durant la quinzaine.
Comme le déclarait à la radio Gilles Jacob, ancien président du Festival de Cannes mais figure toujours aussi emblématique, il aurait fallu commencer par inviter Netflix hors compétition, avant d’envisager leur intégration à la compétition lors des éditions suivantes. Le mal, qui n’est pas irréparable, est fait pour cette année. Depuis, Netflix envisagerait d’acheter des salles, aux Etats-unis dans un premier temps – et on imagine déjà de nouveaux scandales se profiler.

Il est interdit d’interdire (?)

Alors que la France célèbre les cinquante ans de mai 68 dans un mouvement de contestation désordonné, sans figure forte pour s’opposer au pouvoir en place, une interdiction tombe au beau milieu du tapis rouge cannois : celui de faire des selfies. Depuis plusieurs éditions, Thierry Frémaux se montre hostile à cette pratique qui ralentirait l’accès au Grand Théâtre Lumière, dont le planning des projections pourrait faire pâlir un aiguilleur du ciel. Pourtant, les séances sont réputées pour débuter à l’heure, à l’exception des séances de minuit accusant parfois de quelques minutes de décalage par rapport au programme – il faut dire que la standing ovation pour un film a des conséquences pour l’évacuation de la salle et l’entrée des festivaliers suivants.
Comment se déroule une séance de gala, pour un festivalier ? Il faut se rendre, dans ses plus habits et souliers au Grand Théâtre Lumière à l’une de ses nombreuses portes d’accès, de part et d’autres du tapis rouge, selon l’invitation en main. Sauf pour les places numérotées, il est préférable de venir très tôt, généralement une heure avant la séance pour éviter d’être refoulé, les invitations étant un peu plus nombreuses que le nombre de sièges afin d’éviter des places vides. Plusieurs contrôles de sécurité ont lieu avant d’accéder au tapis où les photographes immortalisent la présence des célébrités venues découvrir le film ou simplement passer devant les objectifs pour figurer dans les quotidiens du lendemain. Pour les quidams, ce passage s’effectue plus ou moins rapidement, selon les personnalités présentes sur le tapis, il est possible de rester confiné à ses abords le temps des photos avant d’être lâché en direction des marches. Certains festivaliers profitent de ce passage pour se prendre en photo, immortaliser ce qu’ils publieront sur les réseaux sociaux dans la seconde – participant directement au rayonnement du festival par la même occasion – mais quoi qu’il advienne, il est impossible de lézarder dans ce secteur, les agents invitant les festivaliers à monter. Sur les marches, même chose, si les festivaliers à prendre des photos s’attardent, les hôtesses invitent dans la foulée à entrer dans le temple du Grand Théâtre Lumière.
Au final, quand l’équipe du film arrive sur le tapis pour clore la montée des marches, tout le monde est déjà assis à sa place, prêt à accueillir chaleureusement ceux qui leur apportent une œuvre qui marquera leur soirée, leur semaine, peut-être leur vie ou bien, rien du tout, dans le pire des cas.
Et le film débute, à l’heure, sans pub ni bande annonce mais le générique de la Palme d’Or avec la musique de Camille Saint-Saëns.

Alors, pourquoi interdire les selfies et comment les définir. Au sens strict, c’est un autoportrait que l’on prend à bout de bras ou à l’aide d’une petite perche. Est-ce que les photos prises par un tiers tombent dans le cadre de cette interdiction ? Et de plus, comment interdire cette pratique ? Avec l’aide du XV de France pour des plaquages musclés lorsque les téléphones s’évaderont des vestes et sacs à main, ou bien à l’aide des tacles inopinés de M. Tony Chapron ? On a hâte de découvrir la mise en pratique.

La presse attendra

Parmi les éléments marquants de cette 71ème édition, il y a une décision fort louable pour les films avec la suppression des projections presse en amont des montées des marches. Habituellement, les films dont la séance de gala se tient à 19h ont déjà été vus deux fois dès 8h30, représentant plusieurs milliers de festivaliers qui peuvent s’exprimer dans l’immédiat sur un film grâce aux moult possibilités offertes par internet. Pour les films dont la séance de gala se tient à 22h, le film est même découvert dès la veille au soir par la presse. C’est désormais terminé, et tant mieux, probablement, malgré la plainte d’une partie de la presse française tandis que les syndicats des producteurs saluaient cette mesure. La plainte tient de l’abolition partielle d’un privilège, qui aurait alors des conséquences sur les publications, puisque la presse découvrira les films de 19h en parallèle en salle Debussy, avec des projection supplémentaires en salle Bazin, et le lendemain matin à 8H30 au Grand Théâtre Lumière pour les films diffusés à 22h. Objectivement, cela ne change rien au travail des journalistes, si ce n’est un décalage de quelques heures dans les publications – on imagine déjà la panique à bord des rédactions, quel drame ! Ce qui change la donne, c’est de manquer plus de films en fin de compétition, nombreux festivaliers pliant bagages avant l’annonce du palmarès. Et, ne nous voilons pas la face, les journalistes les plus privilégiés ont déjà vu certains films de la compétition avant même de venir à Cannes, leur article est déjà prêt à être à publié, il suffirait d’une erreur de clic pour voir apparaître certains avis !
Si l’on peut craindre naturellement certains couacs pour accéder à certains films, cette mesure qui redore le blason des séances de gala ne pourra que s’avérer bénéfique pour les films, dès cette édition.

Prestige officiel

Il est bien entendu impossible d’évaluer la qualité d’une compétition en amont du festival, sur la simple base des auteurs la composant. Toutefois, on peut déjà se réjouir de certains éléments : si la plupart des réalisatrices et réalisateurs la composant sont loin d’être des inconnus, hormis A.B. Shawky, égyptien et unique représentant du continent africain avec Yomeddine, une belle partie d’entre eux participe pour la première fois à la compétition officielle. C’est le cas pour David Robert Mitchell avec Under the silver lake, Pawel Pawlikowski avec Cold War ou encore Jafar Panahi avec 3 visages pour ne citer qu’eux. Autre élément réjouissant, la présence de jeunes auteurs, qui présentent en compétition, pour la première fois, leur deuxième long métrage de fiction : Eva Husson (Les filles du Soleil), Yann Gonzalez (Un couteau dans le cœur) et Sergei Dvortsevoy (L’été). En tout, sur les vingt-et-un longs métrages en compétition, dix sont des œuvres dont les auteurs n’ont encore jamais concouru pour la Palme d’Or.

« Le poirier sauvage » de Nuri Bilge Ceylan

Les plus capés parmi la compétition sont Jean-Luc Godard, 8ème participation avec Le Livre d’image et Nuri Bilge Ceylan, 6ème participation avec Le Poirier sauvage. Le cinéaste turque, qui présente le film le plus long de la compétition avec ses 3h08 au compteur, est aussi l’unique détenteur d’une Palme d’Or (Winter Sleep en 2014). Entre eux et les petits nouveaux, une flopée de noms qui font saliver aussi, Spike Lee, Hirokazu Kore-Eda ou encore Jia Zhang-ke.

Sur le point de la parité entre réalisatrices et réalisateurs, difficile d’y trouver un équilibre puisqu’elles sont seulement trois, Eva Husson, Nadine Labaki et Alice Rohrwacher. Comme toujours, cette faible représentation en compétition reflète toujours un déséquilibre qui se joue dès l’étape de la production des films. La surprise tient dans les pays représentés, avec très forte présence d’Asie et du Moyen-Orient (réunis, dix longs métrages) avec une absence totale de pays d’Amérique Centrale, un seul film venant d’Afrique et pour unique représentante de l’Océanie, la présidente du jury : Cate Blanchett. Comme toujours, ces films embrassent une grande multitude de genre, et représentent tous des promesses cinématographiques qui feront de cette édition un voyage aux enjeux encore mystérieux.

« Solo – a Star Wars story » de Ron Howard

Hors compétition, on trouve aussi quelques poids lourds. Les festivaliers auront notamment la chance de découvrir le nouvel opus de la saga Star Wars, Solo : a Star Wars story, huit jours avant sa sortie officielle en France. Le banni Lars Von Trier n’est plus personna non grata et présentera une œuvre qui s’annonce particulièrement sombre avec Matt Dillon en tueur en série, The House that Jack built.
N’oublions pas non plus que le festival a multiplié les invités pour des conversations, Ryan Coogler, Christopher Nolan, Gary Oldman et John Travolta investiront la salle Buñuel tandis que Martin Scorsese occupera le Théâtre Croisette à la Quinzaine des réalisateurs le 9 mai. Pas le temps d’évoquer la Semaine de la Critique ni la Quinzaine des réalisateurs dans cette présentation : je vous donne rendez-vous sur le site, Twitter et Instagram afin de suivre mes aventures cannoises jusqu’au bout de la nuit.

Article rédigé par Dom

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