Critique : Lucky

Harry Dean Stanton nous a quitté en septembre dernier. Impossible dès lors de négliger l’aspect testamentaire de Lucky, premier long métrage réalisé par John Carroll Lynch, une comédie dramatique portée sur la vieillesse, la solitude et la mort approchant. Un petit bijou de sagesse et d’émotion, avec un humour redoutable.

Accepter le néant

Lucky est le surnom de ce vieil homme solitaire campé par Harry Dean Stanton. Avec sa dégaine de cow-boy et malgré ses 90 ans, Lucky sort tous les jours de son antre, clope au bec, pour boire son café dans le diner de Joe (Barry Shabaka Henley) et finir la journée au comptoir d’un bar, entouré par les habitants d’un bled implanté dans une zone aride de l’Ouest américain. Obnubilé par les jeux d’esprit, mots croisés et jeux de culture télévisés, Lucky se montre virulent contre le moindre élément pouvant troubler sa routine, et pourtant, ce protagoniste se montre attachant dans sa solitude, et aimé par sa communauté. Loin de ces films minimalistes qui promènent le spectateur d’une saynète à l’autre sans conviction, le film de John Carroll Lynch, écrit par Logan Sparks et Drago Sumonja, donne dans la quête spirituelle sans posture moralisatrice. Qu’est-ce que l’on peut encore attendre de la vie dans les profondeurs de son crépuscule ? Que doit-on en retenir, que doit-on regretter ? Au centre du film, il y a le partage et l’amitié, entre les hommes, mais aussi avec les animaux. Parmi les personnages aussi discrets que fabuleux de ce film, il y a Howard (David Lynch, fantastique), peiné par la disparition du Président Roosevelt. Non, il ne campe pas un personnage sénile, le Président Roosevelt, c’est sa torture terrestre – la précision lui importe énormément. Autre figure récurrente du bar tenue par Elaine (Beth Grant), Paulie (James Darren) et sa leçon de vie sur les fruits du hasard. Dans Lucky, chaque échange verbal constitue un micro-événement qui construit un émouvant regard sur l’inévitable fin qui nous attend tous, un jour ou l’autre.

Déambulant sous des airs d’harmonica, Lucky n’est pas du genre à se morfondre, ni à se laisser dicter sa conduite. De passage à l’hôpital, il obtient de son médecin l’autorisation de continuer à fumer au même rythme, afin de ne pas troubler son exceptionnelle santé. C’est aussi par sa capacité à voguer sur un ton à la fois humoristique et sage, avec la caméra sensible et sensée de John Caroll Lynch, que cette aventure s’inscrit dans un registre très particulier, loin de structures narratives éculées. Doté de quelques scènes aux frontières du surréalisme – comme une sortie de bar digne d’un film de David Lynch justement –, Lucky sait aussi surprendre sans jamais bouleverser son rythme, prenant de l’ampleur au fil des rencontres. Il y a ce passage notamment où Lucky échange avec un autre vétéran du Pacifique lors de la Seconde Guerre Mondiale joué par Tom Skerritt, où les anecdotes des deux hommes nous plongent dans un monde qui paraît si lointain. Des souvenirs d’une époque pourtant encore proche de nous, voués à s’évanouir avec ceux qui les ont porté en eux. Par sa tendresse sublime, Lucky finit par nous saisir, abolissant les frontières entre fiction et réalité : les derniers pas de ce cow-boy, ce sont les derniers d’Harry Dean Stanton sur grand écran, et ses ultimes répliques prennent une dimension inouïe. Accepter que le temps passe, c’est accepter le néant qui nous attend : ce qui n’empêche en rien de jouir de l’instant présent.

4 étoiles

 

Lucky

Film américain
Réalisateur : John Carroll Lynch
Avec : Harry Dean Stanton, David Lynch, Ron Livingston, Tom Skerritt, James Darren, Barry Shabaka Henley, Yvonne Huff, Beth Grant
Scénario de : Logan Sparks, Drago Sumonja
Durée : 88 min
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie en France : 13 décembre 2017
Distributeur : KMBO

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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