Critique : Au revoir là-haut

En adaptant le roman Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013, le cinéma d’Albert Dupontel prend une dimension romanesque des plus impressionnantes. Devant et derrière la caméra, le spécialiste des personnages marginaux réalise une vraie prouesse en contant l’amitié de deux rescapés de la Première Guerre Mondiale.

Ô les masques !

Après cinq longs métrages comme réalisateur (et acteur), on pouvait, à juste titre, penser que Dupontel continuerait à explorer le domaine de la comédie dramatique déjantée. Quatre ans après 9 mois ferme, le voilà aux commandes d’un projet titanesque, déjà par l’époque à laquelle il nous ramène, les Années folles, après avoir traversé un champ de bataille au crépuscule de la Première Guerre Mondiale. Adaptation signée en étroite collaboration avec l’écrivain Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut se penche sur l’amitié entre deux hommes ayant survécu au cauchemar de la guerre, Albert Maillard (Albert Dupontel) et Edouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart), et, pour débuter cette histoire, Albert Maillard, au Maroc, est interrogé sur ses liens avec Péricourt. Ainsi, le spectateur plonge dans l’horreur des tranchées avec un sens de la mise en scène impressionnant, comme ce vertigineux plan séquence suivant un berger allemand depuis les airs avant de terminer au plus près des bottes, parmi les soldats sacrément amochés par des mois de confrontation. Albert Maillard a donc les traits délicieusement névrotiques de Dupontel (et sa gouaille inimitable). Un comptable qui aimerait bien sauver sa peau alors que l’armistice approche, tout comme des milliers de soldats, dont Edouard Péricourt, talentueux artiste porté sur la caricature. Campé par Nahuel Pérez Biscayart, déjà génial cette année avec 120 battements par minute, ce personnage sensible contraste fabuleusement avec son compère comptable, et ces deux hommes vont voir leur destin basculer par la cruauté du Lieutenant Pradelle (machiavélique Laurent Laffite), qui, malgré les ordres de camper leur position en attendant la fin, lancera ses troupes dans un dernier assaut meurtrier. En sauvant la vie à Albert, Edouard, lui, rejoindra le triste rang des gueules cassées en perdant une partie de son visage.

Défiguré par la perte de sa mâchoire inférieure, Edouard va vouloir mourir, aux yeux de ses proches, afin de ressurgir en artiste malicieux, affublé de masques incroyables témoignant de son humeur. Saluons le travail de Cécile Kretschmar sur ces masques offrant mille visages à Nahuel Pérez Biscayart dans un rôle fondamentalement corporel, où l’expression passe par le geste et non la parole, par un regard plutôt qu’une moue. Et c’est aussi grâce à un travail de reconstitution abouti, conjuguée avec la géniale folie des grandeurs du metteur en scène que ce récit où les braves luttent contre les salauds sur un savoureux échiquier captive, enivre et touche en plein cœur. On trouve ici d’ailleurs un sens de l’aventure exubérant qui rappelle parfois l’univers de Terry Gilliam, ami de Dupontel, ou bien lorgnant du côté des grands Jeunet. Au fond, si Au revoir là-haut est un film flamboyant, c’est parce qu’il s’engouffre dans un espace que l’on évite aujourd’hui en France, verrouillant les champs du possible et les ambitions des cinéastes. Grâce à la présence lumineuse de la jeune Héloïse Balster, véritable interprète d’Edouard, cette aventure ramène à quelque chose d’enfantin face au tragique. Il y a cet esprit d’insouciance et de joie propre aux Années folles qui s’oppose à l’ombre d’un père terrible joué par Niels Arestrup ainsi que le diabolique Pradelle. C’est un film qui donne envie de renverser l’ordre établi au nom d’une justice sociale, une œuvre qui évoque la rédemption au travers du tragique. En somme, une œuvre débordant d’humanité dans les cendres d’une effroyable guerre. Au revoir là-haut est sans aucun doute le film le plus ambitieux du cinéma français cette année, et il serait regrettable de manquer sur grand écran ce tour de force inattendu d’Albert Dupontel.

Merci à Allociné pour la découverte du film en avant-première

4 étoiles

 

Au revoir là-haut

Film français
Réalisateur : Albert Dupontel
Avec : Albert Dupontel, Nahuel Pérez Biscayart, Niels Arestrup, Laurent Laffite, Héloïse Balster, Emilie Dequenne, Mélanie Thierry, Philippe Uchan
Scénario de : Albert Dupontel, Pierre Lemaître, d’après le roman éponyme de Pierre Lemaitre
Durée : 117 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 25 octobre 2017
Distributeur : Gaumont Distribution

Bande Annonce :

Article rédigé par Dom

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