FIFC 2017 : Cultissime

Samedi 24 juin 2017, déjà l’ultime journée du Festival International du Film Culte avec les deux derniers films de la compétition, Bonheur Académie et Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, un concert grandiose de Michel Legrand et la cérémonie et fête de clôture. En photo ci-dessus, la jeune Lise Leplat Prudhomme dans Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc.

Derrière Bonheur Académie ne se cache pas une énième comédie américaine au titre transformé pour le marché français, non, il s’agit du nouveau long métrage du duo Kaori Kinoshita/Alain Della Negra (derrière l’excellent documentaire The Cat, the Reverend and the Slave sur des joueurs de Second Life). Cette fois, toujours observateurs des remèdes à la solitude créée par la société, ils embarquent pour la Croatie pour une semaine de séminaire au sein d’un camp raëlien. Oui, Raël, l’homme illuminé par une rencontre avec des extraterrestres et qui n’apparaît pourtant dans aucune saison de la série The X-Files. Aucune caméra n’avait été auparavant autorisée à s’aventurer dans l’académie du bonheur raëlienne, et pour rassurer les membres du culte, Kaori et Alain ont décidé de s’y rendre avec des acteurs, afin d’y filmer une fiction au sein d’un cadre bien réel. C’est ainsi que l’on verra Laure Calamy, Michèle Gurtner, Benoît Forgeard et le chanteur Arnaud Fleurent-Didier (dans son propre rôle) intégrer et interagir avec les membres de la secte dans ce séminaire qui promet aux participants de trouver le bonheur et la paix intérieure. Laure Calamy est Lily, une femme qui a quitté son métier de correctrice et qui pourrait peut-être se retrouver grâce à une relation avec Arnaud, mais Dominique (Michèle Gurtner) se dressera en obstacle dans sa quête. Par son procédé, ce documentaire semi-fictionnel s’avère troublant, car au fond, au travers de la présence des caméras et du montage, il est difficile d’évaluer la part de réalité qui persiste dans cet exercice qui cherche une position neutre, regardant comment des êtres perdus trouvent une forme de réconfort, des partenaires – sexuels ? – au cours d’un séminaire qui, fondamentalement, propose certains exercices sains – méditation sur des musiques calmes – mais aussi en contrepartie des exposés douteux, comme celui traitant de la part féminine et masculine de tout un chacun avec des schémas étranges : le cerveau de l’homme représenté comme un circuit imprimé, celui de la femme comme un cerveau égayé au flower power des hippies ! Raël, quant à lui, n’est présent qu’au travers d’échanges par Skype, loin de ses fidèles puisqu’il réside au Japon. Drôle de culte au Festival du film culte…

A l’issue de la projection, les questions sont nombreuses pour Kaori Kinoshita et Alain Della Negra qui nous expliquent un peu plus leur démarche – et dommage que certains éléments échapperont aux spectateurs qui pourront découvrir le film dès le 28 juin 2017 en salle. Déjà, il y a le fait que les participants savaient très bien que les acteurs venaient pour jouer, avec des prénoms d’emprunt, à l’exception d’Arnaud Fleurent-Didier. Dès lors, les réactions des autres participants sont en partie conditionnées par ces données. Des participants qui ne déboursent pas une somme phénoménale pour participer à ce séminaire d’une semaine : un peu moins de 200 euros, soit un coût total de séjour d’environ 500 euros. Car Raël obtient ses fonds autrement, en suggérant à ses membres de reverser 10% de leur salaire. Par rapport au montage du film, les raëliens n’ont eu aucun droit de regard – mais aucun élément ne les place dans une position inconfortable. Lorsqu’une spectatrice, profondément opposée à ce culte, déclare qu’il doit y avoir de sacrées orgies sur place, Kaori et Alain répondent qu’ils n’ont rien vu de tel, y compris l’année précédente pour laquelle ils y avaient participé pour des repérages. D’ailleurs, certains exercices ont mystérieusement disparu avec la présence de leurs deux caméras, comme celui consistant à regarder son anus avec un miroir jusqu’à trouver l’orifice magnifique comme une fleur. D’accord…

L’après-midi, la compétition s’achève en musique avec la comédie musicale de Bruno Dumont, oui, le réalisateur de La Vie de Jésus et de Ma Loute explore encore de nouveaux horizons. Les jumelles Aline et Elise Charles, qui jouent Madame Gervaise dans le film – un unique personnage pour les jumelles, l’idée étant venue à Bruno Dumont lorsqu’elle se sont présentées ensemble au casting –, étaient présentes pour faire du head banging avec Daisy D’Errata et Karl Zéro au photocall. Pourquoi ce geste, que l’on voit plutôt à des concerts de métal ? Eh bien tout simplement car c’est le style de musique qui a été préférée pour la bande originale du film, composée par Igorrr, mariant aussi bien les guitares les plus véloces avec des segments baroques ou piochant dans des beats du monde du hip-hop !

On avait découvert l’humour de Bruno Dumont avec P’tit Quinquin, qui nous a conduit presque naturellement au phénoménal Ma Loute, film hybride en tout point, de son style à ses personnalités face aux caméras, entre acteurs de renom, inconnus et ces nouveaux visages qu’il nous tarde de revoir, comme la troublante Raph. Avec Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, Bruno Dumont démontre à nouveau sa capacité à se renouveler, à se mettre en danger artistiquement, élevé par une liberté folle. Sa caméra s’installe encore une fois dans le Nord-Pas-de-Calais – où a été déplacée Domrémy – pour suivre l’enfance de Jeanne D’arc, encore appelée Jeannette lorsqu’on la découvre en petite bergère en 1425. Adapté des œuvres de Charles Péguy consacrée à Jeanne D’Arc, Jeanne d’Arc et Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc, cette œuvre à la fois solennelle et déjantée marque d’entrée par le charisme étincelant de la petite Lise Leplat Prudhomme, au regard incroyable, vaillante pour clamer ses vers qui interrogent et défient Dieu quant aux ravages et massacres provoqués par les anglais en France. Lorsque la musique s’envole et que le chant s’évanouit, les enfants s’engagent dans des chorégraphies rudimentaires et énergiques de Philippe Découflé. Surprenant ! Dans son cadre naturel et épuré, Bruno Dumont pose sa caméra, confiant dans la puissance de la musique d’Igorr ainsi que dans le jeu atypique guidé par la prose de Péguy de ces jeunes encore inconnus dans le monde du 7ème art. Au fond, c’est en quelque sorte un retour au source pour Dumont, qui s’éloigne à nouveau du monde des acteurs professionnels pour s’ouvrir à un autre genre, celui de la comédie musicale donc. Parfois âpre mais toujours grisant, Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc témoigne de l’illumination et de la foi d’une enfant à la détermination sans limite pour sauver son peuple. Combien d’œuvre font preuve d’un tel mysticisme aujourd’hui ? Très peu. Et combien le font ainsi, avec ce panache musical qui tranche avec le cadre du XVème siècle ? Aucune !

C’est pourquoi le minimaliste mais endiablé Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc est un film hors norme, voué à cliver, bien plus que les dernières œuvres de Bruno Dumont. Dans sa seconde partie, où Jeanne D’Arc, plus âgée, est jouée par la non moins brillante Jeanne Voisin, le burlesque jaillit au travers du personnage de l’oncle de Jeanne, pas plus âgé qu’elle et s’exprimant dans une prose marquée par un phrasé contemporain, venant de la rue, ainsi qu’une gestuelle venant directement du phénomène disparu de la tecktonik. Portée par une foi inébranlable, une volonté de fer pour sauver sa patrie, la jeune Jeanne pourra quitter les siens et accomplir son destin. On galvaude parfois le terme d’OVNI – ou d’OFNI pour Objet Filmique Non Identifié –, ici, ce serait presque un euphémisme tant les codes d’un genre volent en éclat avec maestria. Un vrai coup de coeur. Date de sortie inconnue.

Sur les coups de 21h, l’Eglise Notre-Dame-De-Bon-Secours se retrouve pleine à craquer. La messe, c’est Michel Legrand et deux musiciens qui la tiennent pour un concert incroyable, trio jazz mêlant piano, contrebasse et batterie pour retracer, avec un sens de l’improvisation merveilleux, la carrière musicale du compositeur français. Des incontournables thèmes des Demoiselles de Rochefort à des variations stylistiques phénoménales du thème principal des Parapluies de Cherbourg, le trio hypnotise et galvanise un public ravi d’assister à cette anthologie magistrale. Avec en son cœur des morceaux moins connus mais tout aussi séduisants, composés pour des films comme Yentl ou Dingo avec la collaboration de Miles Davis, c’est sur le thème principal de L’Affaire Thomas Crown que s’achève ce concert fantastique. D’ailleurs, voici ce morceau – pardonnez moi la qualité moyenne de l’image et du son, mais j’ai filmé ceci avec mon misérable téléphone sans contrôler le cadre pour ne rien perdre de l’instant présent :

Palmarès culte

De retour à la Salle Ephémère du Casino Barrière, les festivaliers découvrent le palmarès dans une cérémonie marquée par les traits d’humour et des interventions brèves – ce sont Marielle Gautier, Ludovic et Zoran Boukherma et Hugo P. Thomas, « les Willy 1er » qui se montrèrent les plus brillants dans un exercice toujours à quatre voix.

Sans surprise, la Mouette de Platine du film culte vintage – désignée par un vote des internautes quelques semaines avant le festival – est remise par Valérie Donzelli au film de Jacques Demy, Les Demoiselles de Rochefort, prix récupéré par le président du jury Michel Legrand – on apprendra d’ailleurs quelques minutes plus tard l’arrivée d’une nouvelle édition du film pour le cinquantenaire, avec en bonus la version américaine inédite du film dotée d’une toute autre orchestration, ainsi que deux concerts de Michel Legrand qui se tiendront au Grand Rex.

Charlélie Couture remet la Mouette d’Argent du meilleur réalisateur à Christophe Agou – à titre posthume donc. Ce sont Pierre Vinour et Elisabeth Perlié qui montent sur scène pour récupérer ce prix, qui, on l’espère, offrira une meilleure visibilité au film et qui couronne donc l’unique travail cinématographique de ce photographe de carrière.

Enfin, Yann Moix monte sur scène pour faire les louanges d’un film dont il révéle l’identité ainsi, Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc de Bruno Dumont, la Mouette d’Or, Grand Prix du Film Culte 2017. Un choix du jury que l’on ne pourra que saluer, car de tous les beaux films présents en compétition à cette seconde édition, l’œuvre de Bruno Dumont est la plus singulière et marquante – et donc, la fraîche tradition qui veut que le lauréat de la Mouette d’Or soit membre du jury de l’édition suivante devrait donc conduire le cinéaste à Trouville-sur-mer en juin prochain. A l’issue de cette remise de prix, les membres du jury retrouvent la scène avec les quelques membres à vie encore présents – JoeyStarr n’est plus dans les parages tandis que Laurent Baffie se restaure à La Coupole –, et Dani réalise un rêve, celle de faire l’ouvreuse en distribuant des chocolats :

La cérémonie est suivie par la projection des Demoiselles de Rochefort, et ce n’est pas pour manquer de respect à Michel Legrand mais pour satisfaire un estomac au bord de l’abime que je quitte les lieux afin de me restaurer : c’est un échec, les restaurants ayant fermé leurs cuisines et le foodtruck ayant vu tout son stock de nourriture pillé après le concert de Michel Legrand, me laissant toutefois la possibilité d’engloutir un muffin au Nutella. Fort heureusement, à la soirée de clôture à la Villa Tara, dans l’enceinte du Casino Barrière, le champagne et le vin accompagnent des assiettes de charcuterie qui ont sauvé la vie à plus d’un des invités. Un groupe de jazz joue sur une scène tandis que les lauréats se voient félicités. Je glisse d’ailleurs une idée aux sœurs Charles, celle de faire une tournée avec Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc qui pourrait s’achever en apothéose au Hellfest ! D’ailleurs, à propos de musique et de chant, Karl Zéro et Daisy D’Errata s’y essaient avec succès, avant de laisser le micro au directeur commercial des Cures Marines pour un New York New York bluffant.

La soirée continue avec un DJ set de Nicolas Ullmann, que l’artiste entrecoupe d’interventions géniales de transformiste, nous conduisant de la folie du Rocky Horror Picture Show au Nicolas Cage de Sailor & Lula. En somme, une journée cultissime pour conclure la 2ème édition du Festival International du Film Culte, encore une fois marquée par son esprit festif, sa convivialité et bien sûr, son attachement au 7ème art grâce à son double programme. Le lendemain midi, les survivants pouvaient croiser Mickaël Youn à un barbecue organisé avant la projection de son film Fatal, mais pour moi, plus de salle éphémère cette année, direction la gare, non sans adieu, mais avec un au revoir qui sonne comme un rendez-vous déjà pris en 2018.

Merci à Karl Zéro et Daisy d’Errata, Allociné ainsi que tous les membres des diverses équipes du festival, les équipes de l’hôtel des 2 Villas et des Cures Marines.

Article rédigé par Dom

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