Cannes 2017 : Palmarès commenté et bilan

Il s’est achevé il y a trois semaines déjà, le 70ème Festival de Cannes. Retour sur le palmarès de la compétition avec un commentaire et un bilan personnel de ces douze jours consacrés au cinéma.

Dimanche 28 mai 2017 19h15 : voilà, le palmarès du festival se dévoile et comme toujours, il y aura bonnes et mauvaises surprises ainsi que des confirmations d’acquis.

Palmarès des longs métrages de la compétition officielle

PALME D’OR
THE SQUARE réalisé par Ruben ÖSTLUND
La Palme d’or a été remise par Juliette Binoche et Pedro Almodóvar.

PRIX DU 70e ANNIVERSAIRE
Nicole KIDMAN

GRAND PRIX
120 BATTEMENTS PAR MINUTE réalisé par Robin CAMPILLO

PRIX DE LA MISE EN SCÈNE
Sofia COPPOLA pour THE BEGUILED (Les Proies)

PRIX D’INTERPRÉTATION MASCULINE
Joaquin PHOENIX dans YOU WERE NEVER REALLY HERE réalisé par Lynne RAMSAY

PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE
Diane KRUGER dans IN THE FADE réalisé par Fatih AKIN

PRIX DU JURY
FAUTE D’AMOUR réalisé par Andrey ZVYAGINTSEV

PRIX DU SCÉNARIO EX-ÆQUO
Yorgos LANTHIMOS et Efthimis FILIPPOU pour THE KILLING OF A SACRED DEER (Mise à mort du cerf sacré)
Lynne RAMSAY pour YOU WERE NEVER REALLY HERE

Ruben Ostlund n’en revient pas !

Des interrogations
Question pronostics, j’ai donc vu juste sur deux prix, le Grand Prix pour le film de Robin Campillo et le prix d’interprétation pour Diane Kruger. Deux autres primés se retrouvent aussi au palmarès mais à des prix différents de mes prévisions, Mise à mort du cerf sacré et The Square.
Le jury a tranché, démocratiquement puisque, visiblement, Pedro Almodovar aurait souhaité remettre la Palme d’Or à 120 battements par minute. Neuf personnes, oeuvrant dans l’industrie du cinéma, se sont concertées et exprimées. Le commentaire suivant n’a pour valeur que celui d’un simple festivalier, qui a vu tous les films de la compétition hormis Rodin et qui se passionne pour la réalisation. Le palmarès est autant satisfaisant que décevant à mes yeux, un véritable mi-figue mi-raisin, pour plusieurs points. Commençons avec la Palme d’or. The Square est un excellent film, mais quitte à bouder Naomi Kawase – n’aurait-il pas été fantastique de récompenser la cinéaste japonaise qui aurait alors rejoint Jane Campion, la seule réalisatrice de toute l’histoire du festival en possession de la récompense suprême ? D’aucuns lui reprochent d’avoir réalisé un film lisse et mièvre. Est-ce un mal de s’émerveiller sur la beauté simple de la naissance des sentiments dans une œuvre qui met en lumière une communauté dans l’ombre, celle des aveugles ? Sans palme pour Kawase, la récompense me semblait plus appropriée pour 120 battements par minute : c’est un film important à l’heure où certains pays éliminent les homosexuels, où l’homophobie peut parader aussi librement dans les rues de nos villes en France, c’est un film important à l’heure où les plus jeunes se détournent des dangers du SIDA. Il faudra donc se contenter d’un Grand Prix, une belle récompense toutefois, qui a couronné des œuvres majeures et incroyables, mais un prix qui touche plus les cinéphiles que les spectateurs occasionnels. Pour le Prix du jury, on pourra saluer le choix d’un film fort et réussi en tout point, Faute d’amour d’Andreï Zviaguintsev, un cinéaste toujours venu à Cannes pour montrer la force de ses proposition cinématographiques puissantes et incarnées.

Contre-jour peu glamour pour Nicole Kidman

Mise en scène et Prix du 70ème : définitions ?
Sofia Coppola s’empare de la mise en scène. Comment ? Son film est probablement le plus beau en matière de photographie, mais il semble loin d’être le plus marquant sur le point précis de la mise en scène. C’est comme si ce prix revenait à son chef opérateur Philippe Le Sourd, au travail bluffant du premier au dernier plan de ce film fort qu’est Les Proies. Lanthimos réalise un film puissant en matière de mise en scène – il récupère un prix du scénario, probablement le point le moins intéressant de son film –, Bong Joon-Ho réalise aussi un film terriblement délicat, alliant des séquences intimistes à du pur grand spectacle. Mais l’Asie aura été boudée, ainsi que les candidats venus du web : Netflix avec The Meyerowitz Stories (film dispensable) et Okja (formidable), Amazon avec le très beau Wonderstruck de Todd Haynes – une œuvre également fantastique, qui aurait pu se placer sur le prix de la mise en scène. Même Lynne Ramsay aurait eu plus de mérite à remporter le prix de la mise en scène avec You were never really here au lieu d’un prix du scénario qu’elle partage avec Lanthimos, le scénario étant aussi un élément dérisoire de son percutant thriller. C’est une sincère incompréhension à laquelle nous n’aurons pas eu de réponse dans la si courte conférence de presse du jury, où Jessica Chastain a toutefois réussit à faire entendre son mécontentement quant à l’image des femmes dans les 19 films qu’elle aura vu. Mais la plus vaste blague vient du jury présidé par Uma Thurman à Un Certain Regard, qui a décerné le Prix de la mise en scène à Wind River, une horreur de découpage irréfléchie !
Quant au Prix anniversaire du 70ème, il a été remis à Nicole Kidman, absente lors de la clôture – alors qu’elle était à Cannes avant même le lancement des festivités mais passons sur ce point –, mais pour quelle raison ? Que signifie ce prix ? Nicole Kidman était présente pour trois longs métrages, Les Proies, Mise à mort du cerf sacré, How to talk to girls at parties et aussi la seconde saison de Top of the Lake. Très bien. Des artistes majeurs étaient également présents avec des œuvres qui ne pouvaient pas se retrouver au palmarès, comme Agnès Varda ou David Lynch. Ils se contenteront d’applaudir au Grand Théâtre Lumière tandis que le mystère reste entier.

Diane Kruger auréolée

Incarner
Si Diane Kruger campait le personnage féminin le plus fort de toute la compétition dans In The Fade, l’absence d’un prix majeur pour Vers la lumière ouvrait alors une porte pour l’interprétation poignante d’Ayame Misaki dans le film de Kawase. Mais passons, car Kruger est loin d’avoir volé un prix que tous les festivaliers ou presque s’accordaient à lui remettre, moi y compris.
L’interrogation se porte du côté des hommes : Joaquin Phoenix est un des plus grands acteurs américains de sa génération, sa carrière ahurissante lui a offert des rôles mémorables à chaque apparition. Pourtant, dans le film de Lynne Ramsay, son rôle au jeu très intériorisé, souvent mutique mais avec quelques saillies à la limite du burlesque – cet incroyable déraillement avec Psychose – ne rivalise pas avec deux rôles de composition impressionnants de la compétition. Attention, je ne déclare pas ici que Phoenix se montre mauvais, simplement que deux autres comédiens ont montré un visage inédit, là où Phoenix reste à son niveau d’excellence habituel. Il y a d’abord Louis Garrel dans Le Redoutable. Personne n’aurait misé un kopeck sur la réussite de la transformation du comédien français pour prendre les traits du réalisateur de la Nouvelle Vague, en appuyant légèrement sur l’humour et l’ironie sans se détacher de l’image que l’on a de Godard. Il y a la transformation physique, le travail sur la diction et la gestuelle, cet air de Droopy révolutionnaire fantastique. Il y a du génie dans cette performance. Autre choc, un Robert Pattinson marginal dans Good Time. Jamais le comédien révélé par la saga Twilight n’avait été aussi habité, poussé par un sentiment d’urgence, celui de sauver son frère autiste coûte que coûte dans une folle nuit de magouilles avec la police aux trousses. Le duel attendu n’aura pas eu lieu donc, Phoenix venant rafler le prix…

Okja & Mija, amies pour la vie

Bilan personnel

Cette année, j’ai pu accéder à 32 séances, ce qui comprend deux visionnages d’Okja. Un score très positif, d’autant plus que, contrairement à l’avis de la troupe habituelle de pisse-froid venant déverser leur venin sur la croisette, la compétition (ainsi que les quelques films découverts en sélections parallèles) s’est montrée de grande qualité. Evidemment, il y a quelques déceptions, comme toujours, mais ces dernières sont si minoritaires. La véritable et profond échec aura été de manquer les deux premiers épisodes de la saison 3 de Twin Peaks au Grand Théâtre Lumière, saison 3 formidable que pouvez regarder sur Canal Plus en ce moment – et aussi disponible à la demande, les deux premières saisons pour les retardataires. Il aurait été fantastique de découvrir ces épisodes là-bas, avec l’équipe installée en orchestre, mais le malheur d’une séance de gala unique à 19h m’aura condamné à une découverte à la TV…

« Et si on faisait des courts métrages ensemble ? »

Pour compenser ce raté historique pour un fan de David Lynch, de belles rencontres, notamment avec Jessica Chastain, à trois reprises, rayonnante et d’une gentillesse sans égale du début à la fin des festivités. Des échanges inoubliables. Il y aura eu aussi la séance de gala du film de Michel Hazanavicius, Le Redoutable, dans lequel j’apparais parmi les manifestants, avec des retrouvailles avec l’équipe au Silencio suite à la projection. Ces instants là ne peuvent se vivre qu’au Festival de Cannes et pas ailleurs. Pourtant, si à titre personnel, tous les voyants sont au vert, il y a bien un élément en déperdition totale, c’est bien l’aspect festif une fois la nuit tombée. Les plages ont presque toutes disparu, à l’exception d’une des dernières installées, la Plage Magnum. La nuit, la Villa Schweppes est devenue l’ultime bastion des fêtards à la recherche d’autre chose qu’une fiesta ultra VIP où l’ennui règne parmi les convives engoncés dans leur tenue de soirée, mais en quête d’une fête relativement « ouverte », avec des artistes de renom. Difficile de ne pas pleurer les Villa Inrocks, Plage Chivas, Martini ou Ciné-Guinguette pour ne citer qu’eux, ces lieux où l’on pouvait se fendre la poire avec d’autres festivaliers dans un cadre grisant. Cannes est à deux doigts de devenir un festival terne, resserré sur ses stars et ses films – d’ailleurs, cette soirée du 70ème anniversaire en est le symbole, pourquoi ne pas avoir pas créé l’événement en diffusant cette soirée à la plage et/ou en Debussy ? La rumeur court comme quoi le marché du film s’est montré particulièrement faible en matière de signatures… Des signes de déclin jusque dans les arcanes du festival ?
Autre point incompréhensible, l’interdiction d’accès au Grand Théâtre Lumière pour les personnes sans badge avec une invitation orange, l’accompagnement par une personne dotée d’un badge ne fonctionnant plus. Est-ce une nouvelle mesure de sécurité ? Dans quel but, puisque les personnes sans badge récupérant ces invitations échangent leur ticket contre une invitation bleue, cette dernière offrant un accès sans badge… Une mesure qui nuit au folklore de la quête d’invitations, et qui oblige les courageux mendiants à encore plus d’efforts. En matière de sécurité, si le dispositif se montrait assez élevé par le passé suite à la première vague d’attentats, cette année a vu l’arrivée de portiques similaires à ceux présents dans les aéroports, créant de nombreux problèmes pour accéder dans les salles à temps. Plus de portiques et plus de personnel sont nécessaires pour des accès fluides, mais peut-être que nous avons aussi subi une hausse du nombre de festivaliers à cause de cette édition anniversaire.

Pour finir sans aigreur, car ce festival fut un grand plaisir, saluons l’apparition du discret mais génial Atelier des Merveilles Ephémères que l’on espère revoir pour les prochaines éditions. Un nouveau lieu à l’écart de l’effervescence de la croisette où la musique et les cocktails sont légion.
Et j’en profite pour remercier mes chers colocataires, ces attaché(e)s de presse qui travaillent d’arrache-pied pendant la quinzaine ainsi que les équipes du festival qui veille au bon déroulement de ce dernier. On se revoit en mai prochain, si la France est toujours debout, et ça, c’est une autre problématique.

Article rédigé par Dom

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