Cannes 2017 : première vague

Jeudi 18 mai 2017, première grande journée de festival avec trois longs métrages, Wonderstruck, Blade of the immortal et Jupiter’s Moon : une journée 100% cinéma. En photo ci-dessus, Alfred Hitchcok lâchant ses Oiseaux sur la croisette, en exposition au quatrième étage du palais.

Seconde séance dans des conditions d’accès difficiles avec l’ouverture de la journée par le nouveau Todd Haynes, Wonderstruck. L’accès au Grand Théâtre Lumière manque de fluidité pour la séance de 8H30 avec les portiques, créant une file phénoménale retardant même le lancement de la projection, chose extrêmement rare en dehors des séances de minuit… Encore une fois, le début du film est manqué, mais cela n’a pas empêché d’apprécier le premier bijou découvert en compétition.

Adaptation du roman éponyme de Brian Selznick (Hugo Cabret) et par Brian Selznick, Wonderstruck permet à Todd Haynes de raconter une double odyssée familiale dans le New-York de 1927 et de 1977, en alternant les deux récits avec finesse. L’un, en noir et blanc, suit Rose (Millicent Simmonds), une petite fille sourde qui s’émerveille de voir sa mère sur grand écran, dans des films muets qui disparaîtront bientôt au profit d’un cinéma parlant lui étant fermé ; l’autre suit Ben (Oakes Fegley), un garçon qui a perdu sa mère dans un accident et n’a jamais connu son père. Tout bascule pour lui lorsqu’il est frappé par la foudre via un téléphone, le privant de son ouïe. Comme Rose fuguant le foyer familial pour retrouver sa mère à New-York, Ben prend la fuite pour trouver son père à partir de quelques souvenirs dénichés dans la chambre de sa mère. Les deux histoires, qui cachent leurs liens, permettent à Todd Haynes d’effectuer un travail fantastique sur le son et l’emploi de la musique. Il parvient à créer deux ambiances différentes figurant la surdité, l’une en mettant l’accent sur la musique, sans se priver de certains effets, l’autre en travaillant une atmosphère urbaine partielle et feutrée. La magnifique bande originale de Carter Burwell, entre orchestration classique et rock rêveur, se voit complétée par des morceaux très forts pour nourrir le récit – dont une version jazzy et funky d’un morceau classique employé par Kubrick dans 2001 : l’odyssée de l’espace, Also Sprach Zarathustra par Deodato. Ce film raffiné, lancé par les belles paroles d’Oscar Wilde, « Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles » émerveille par son montage, ses deux atmosphères rétros et ses jeunes interprètes en quête d’une figure parentale terriblement absente. Pour Ben, perdre un sens lui permet de retrouver ses racines, notamment à l’aide de l’espiègle Jamie (Jaden Michael) qui le fera déambuler dans un musée où Rose, cinquante ans auparavant, courrait également – le jeu sur le temps atteint des sommets dans une salle présentant un astéroïde. Si touchant dans son acte final, ce film au style bicéphale parvient à trouver une troisième méthode de narration, qui convoque l’univers de Wes Anderson. A hauteur d’enfant, Wonderstruck émerveille par sa tendresse et son regard bienveillant. Un prétendant au palmarès ? Sûrement !

Du Grand Théâtre Lumière à la salle Bazin il n’y a que quelques pas mais surtout beaucoup d’incertitude à cause de la capacité de la salle, mais la bonne étoile cinématographique veille en ce début de festival : aucun souci pour accéder à la projection de Blade of the Immortal de Takashi Miike, film hors compétition. C’est une adaptation du manga éponyme, et le cinéaste japonais se montre particulièrement efficace dans ce type d’entreprise. Manji (Takuya Kimura) est un samouraï légendaire : après avoir vaincu une centaines d’hommes suite à l’assassinat lâche de sa sœur cadette, une sorcière contamine son sang avec des vers pour lui offrir un don d’immortalité loin d’être une bénédiction. Un membre sectionné ? Les vers s’occupent de recoudre la chair à une vitesse phénoménale. Cinquante ans après sa transformation, il devient le garde du corps de la jeune Rin (Hana Sugisaki), qui souhaite se venger des assassins de ses parents, un clan mené par Anotsu Kagehisa (Sôta Fukushi). Takashi Miike a atteint depuis plusieurs années déjà une maturité qui n’altère en rien son sens de l’humour et de l’exubérance. Avec des personnages forts, poussés par un désir de vengeance, il salue la noblesse des armes blanches dans une œuvre violente, souvent drôle et possédée. Si le rythme du film fluctue entre ses accès de barbarie et des instants de répit permettant d’affiner les traits des protagonistes, Blade of the Immortal se savoure d’un bout à l’autre. Avec une photographie sublime et une propension à charcuter soldats et samouraïs par paquets de dix, cette œuvre dramatique impressionne sans chercher de tours de force en matière de mise en scène. Les fanas du déjanté cinéaste nippon apprécieront grandement.

En début de soirée, je me consacre encore à la compétition avec Jupiter’s Moon (La Lune de Jupiter) du hongrois Kornél Mundruczó. A la frontière de l’oeuvre de science-fiction et du récit fantastique à charge politique, ce qui débute comme un film percutant par sa mise en scène en suivant au plus près des réfugiés accueillis par des tirs de la police en Hongrie se positionne comme un étrange brûlot. Tantôt vertigineux, tantôt pompeux, Jupiter’s Moon déstabilise par sa démonstration de mise en scène qui peut autant émerveiller qu’irriter. La part fantastique : Aryan, un réfugié campé magnifiquement Zsombor Jéger est tué par balles par un policier alors qu’il n’était pas armé. Mais le sang versé sur le sol se détache, et c’est le corps de l’homme, toujours en vie, qui s’affranchit de la gravité : l’homme peut voler dans des séquences ahurissantes. Dans un camp, il rencontre le Docteur Stern (Merab Ninidez) qui va voir en Aryan une solution à ses problèmes financiers, l’homme de science étant poursuivi pour une lourde bavure. Mais la police est à leur trousse, voyant en Aryan un terroriste potentiel et non un miracle, un ange comme l’appelle Stern. Avec son orchestration et sa caméra tournoyante, chaque scène de lévitation produit une forte sensation. Pourtant, ce film composé de nombreux plans séquences irrite aussi par sa caméra qui veut trop en montrer, révélant alors son dispositif au lieu de faire confiance en la capacité du spectateur à capter tout ce qu’offre le cadre en suivant un personnage. Dénonçant une Hongrie gangrenée par la corruption et l’égocentrisme, incapable de lever les yeux vers le ciel, Jupiter’s Moon s’avère au final décevant par son manque de maîtrise ou, du moins, son incapacité à étayer son propos avec une mise en scène criblée de travers dans son ambition. La preuve d’un film clivant : un mélange de sifflets et d’applaudissements de la part des journalistes – séance réservée à la presse, le film étant présenté officiellement le lendemain.

François Truffaut et compagnie

Sur la croisette, certains festivaliers ont la chance de croiser Elle Fanning, se promenant en toute simplicité. Pour ma part, c’est Mathieu Amalric que je croise au palais, venant présenter Barbara, biopic ouvrant la sélection Un Certain Regard. Au quatrième étage, on peut s’arrêter devant de magnifiques photographies exposées dans les allées donnant sur les terrasses. Bien que les hauts lieux des festivités nocturnes ouvrent leurs portes en ce jour, je décide de me priver de soirée, pour la rédaction de cet article mais aussi être frais à l’aube pour découvrir Okja. On se surprend parfois à être sage !

Article rédigé par Dom

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