Critique : The Neon Demon

Exit les figures masculines portées dernièrement par Ryan Gosling pour Nicolas Winding Refn : au centre de son nouveau film, une jeune femme, lâchée dans le monde du mannequinat à Los Angeles. Elle Fanning continue son ascension dans une œuvre aussi contemplative que morbide, regard obsessionnel sur une beauté sacralisée au plus au point.

Morbide beauté

Cela aurait pu être un conte de fée pour Jesse (Elle Fanning) : alors qu’elle n’a même pas 18 ans, elle débarque à Los Angeles pour une carrière de mannequin. Toutes les personnes qu’elle rencontre l’admirent, énormément, trop pour garder des rapports sains. Avec sous le bras des photos prisent par un photographe amateur qui en pince pour elle – Karl Glusman, sûrement repéré par Nicolas Winding Refn dans le sulfureux et mélancolique Love de Gaspar Noé –, elle signe déjà dans une agence qui lui permet de travailler avec des photographes de renom. Rudy (Jena Malone), une maquilleuse, la repère et la guide dans cet univers où la petite poupée aux longs cheveux blonds semble comme une brebis encerclée par des prédateurs aux crocs acérés. Car derrière le rideau rose du conte se déploie un étrange et fascinant cauchemar aux lumières enivrantes – sublime photographie de Natasha Braier -, rite initiatique dans lequel l’innocence succombera à l’horreur du narcissisme dans un monde figé par le désir et la jalousie. Los Angeles se retrouve dépeuplée, vidée de sa propre identité : Jesse semble avoir redéfini, suspendu le temps par sa grâce qui obsède Rudy, mais aussi les deux mannequins présentées par cette dernière (jouées par Abbey Lee et Bella Heathcote), jalousant d’emblée sa beauté et sa facilité à obtenir des contrats.

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Dans The Neon Demon, le symbolisme géométrique touche au mysticisme et la violence se veut avant tout psychologique. Il y a notamment cette scène où les mannequins, en sous-vêtements, attendent en silence qu’on leur demande de montrer leur démarche dans le cadre d’un casting face à un créateur qui ne leur accorde aucun regard. Et vient Jesse qui, de façon ingénue, subjugue le couturier qui la signe dans un état d’extase. Le succès d’une jeune femme succède à l’humiliation d’une autre. Et la jalousie fait un pas de plus dans ce qui ressemble à une scène d’abattoir sans effusions de sang. Encore une fois dans le cinéma de Nicolas Winding Refn, la musique électronique dicte la tonalité de presque toutes les scènes, avec encore une collaboration fructueuse avec Cliff Martinez – et même son neveu Julian Winding avec l’emblématique « Demon Dance » utilisé dans une scène de performance stroboscopique. Une bande originale à la fois entêtante et planante, vibrant d’une pulsion extraterrestre. Un aspect extraterrestre qui affecte aussi Elle Fanning, lors des scènes de mode où elle se retrouve maquillée et coiffée de façon extravagante, à renfort de paillettes sur le visage. Extraterrestre proie qui semble répondre à l’extraterrestre prédateur que campait Scarlett Johansson dans Under the skin – un trait d’union valable également pour l’esthétisme de certaines scènes où l’héroïne marche dans un espace de vide indéfinissable. Et il y a ce point d’orgue dans une séance photo dans laquelle les mannequins semblent venir directement d’une galaxie éloignée, créatures déviantes dépourvues d’émotions humaines.

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Angoissant thriller contemplatif, se détournant d’une narration étoffée pour atteindre avec succès à l’expérience sensorielle, The Neon Demon cache des séquences de pur de film d’horreur, où la mort apparaît comme un fauve dans une chambre ou un couteau enfoncé dans une bouche. L’effroi pour Elle Fanning que l’on a littéralement vu grandir sur grand écran : de Phoebe in Wonderland à Super 8 en passant par Somewhere de Sofia Coppola. La petite fille, devenue adolescente, s’apprête à devenir femme, et plus la peine d’évoquer un potentiel de grande actrice : Elle comptera parmi les grandes. Lorsque ses yeux cherchent à s’accrocher à quelque chose de rassurant alors qu’on lui demande de se dénuder, on ressent une crainte terrible : mais lorsque vêtue par un grand couturier, elle saisit sa magnificence face au démon immatériel, figure lumineuse qui répond avec autorité aux autres formes géométriques du film, c’est un effroi éclatant qu’elle suscite en nous. Cela aurait pu être un conte de fée mais Nicolas Winding Refn a voulu révéler l’horreur masquée et banalisée dans un monde parallèle de silhouettes avides de perfection. Une singulière expérience, trip auditif et visuel au caractère fascinant que le cinéaste danois signe de ses trois initiales à la façon de la maison d’un grand couturier comme Yves Saint Laurent. Sans l’ombre d’un doute, de la haute couture cinématographique.

4 étoiles

 

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The Neon Demon

Film américain, danois, français
Réalisateur : Nicolas Winding Refn
Avec : Elle Fanning, Jena Malone, Abbey Lee, Keanu Reeves, Karl Glusman, Christina Hendricks, Bella Heathcote
Scénario de :
Durée : 117 mn
Genre : Thriller, Epouvante
Date de sortie en France : 8 juin 2016
Distributeur : The Jokers / Le Pacte

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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3 commentaires

  1. Bravo. Magnifique critique, loin du prêt-à-penser des magazines ciné traditionnels. Savoir s’abandonner à « l’expérience sensorielle » n’est pas donné à tout le monde. L’arrière garde braille et renacle mais l’avenir du cinéma pointe ici le bout de son nez.

  2. Vivement son prochain projet, déjà !

  3. Très bonne critique, j’ai bien apprécié le film après digestion, au sens propre comme au figuré. Une incursion violente dans le monde étrange et extrême du mannequinat, à voir !

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