Cannes 2016 : Jodorowsky, sans fin

Samedi 14 mai à Cannes avec à nouveau trois longs métrages, Mademoiselle, le nouveau Jodorowsky, Poésie sans finPoesia sin fin – et The Transfiguration. On a aussi croisé Steven Spielberg et on a terminé la journée à la Villa Schweppes avec notamment un show très rock grâce à The Limiñanas – en photo ci-dessus.

mademoiselle

Sous un soleil réjouissant, direction le Grand Théâtre Lumière dès 8h pour découvrir en compétition le nouveau long métrage du coréen Park Chan-wook, Mademoiselle. Dans ce thriller aux costumes et décors somptueux, une jeune voleuse coréenne est envoyée dans la gigantesque demeure d’un vieil homme qui se fait passer pour un japonais. Mais la cible est sa nièce, la « mademoiselle » du titre, riche héritière convoitée par l’homme qui a envoyé la servante, un imposteur qui se fait passer pour un comte – un sacré quatuor. Un plan machiavélique, divisé en trois parties, se met en place, et le scénario réserve de nombreuses surprises au spectateur. Rapidement, Sooke, la servante, va s’éprendre de sa maîtresse, sorte de poupée fragile qui vit confinée, condamnée à offrir des lectures érotiques pour son oncle, collectionneur d’ouvrages, et ses convives. Ce film tout à fait prodigieux s’inscrit dans la logique de la filmographie de Park Chan-wook, de plus en plus romantique sans avoir renié son goût pour le gore et la torture. Jouant sur les apparences et les langues (alternance de dialogues en coréen et japonais), grâce à des revirements du récit obtenus en alternant les narrateurs, Mademoiselle est un magnifique thriller romantico-érotique qui se déroule sous l’égide de Sade. Le cinéaste coréen se montre toujours impérial dans sa mise en scène qui nous conduit dans d’étranges chambres et sous-sol auprès de comédiens magnétisants. C’est un long métrage qui confronte les sentiments à l’appât du gain, qui allie la liberté à l’amour sans naïveté mais par la force pure du désir. L’un des meilleurs films de la compétition découvert jusqu’à présent, qui peut prétendre au Prix de la mise en scène ou bien à celui du meilleur scénario.

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Quelques minutes après la fin du film, on pouvait découvrir la photo ci-dessus de ce qui semble être Shia LaBeouf à Cannes : seul au monde. Mais Shia, il fait beau et ton film est plus qu’attendu par les festivaliers ! On mettra ça sur le compte d’un manque de vitamines. Crédit photo : @coboyunebiere.

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Je renonce à l’attendu Le Bon Gros Géant de Steven Spielberg pour me rendre au Théâtre Croisette du Marriott où est projeté Poésie sans fin d’Alejandro Jodorowsky. C’était déjà à la Quinzaine des réalisateurs que le cinéaste surréaliste avait fait son grand retour il y a quelques années avec La Danse de la réalité, et ce film en est la suite directe : Alejandro (joué par Adan Jodorowsky) quitte l’enfance pour rejoindre le monde adulte, fuyant le foyer familial lorsqu’il se décide de devenir poète, ce que son père voit du plus mauvais œil. Il fait alors la rencontre de Stella (Pamela Flores), poétesse au look incroyable et qui deviendra sa première compagne. Jodorowsky manie l’humour et l’émotion avec l’aisance d’un jongleur, évoluant avec maestria sur une corde raide, le tout sous un mode surréaliste incroyable. Chaque nouveau lieu, chaque nouvelle rencontre tient de l’événement dans ce film qui ne souffre que d’une photographie bien moins travaillée que dans ses œuvres des années 70. Malgré les épreuves, Poésie sans fin célèbre la joie de vivre, le partage entre les artistes avec la sagesse d’un homme au grand esprit. Les séquences où Jodorowsky apparaît pour se parler en provenance du futur sont particulièrement émouvantes, la sagesse illuminant la moindre de ses paroles. Ce voyage drôle et burlesque qui s’achève lors de son départ pour Paris aboutit sur une ultime séquence d’une émotion incroyable. Poésie sans fin est autant un voyage introspectif qu’une célébration, la célébration de la vie : elle n’a pas de sens, il faut vivre, tout simplement – et là, nous revoilà au premier jour de festival quand Woody Allen souligne aussi dans Cafe Society que la vie n’a pas de sens, il faut vivre chaque jour comme le dernier, car un jour, ce sera le bon !

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Le réalisateur chilien monte sur scène à la fin de la projection sous un tonnerre d’applaudissements des plus mérités. Saisi par l’émotion, Jodorowsky se montre humble et nous rappelle qu’à ses débuts, ses films étaient incompris, comme La Montagne Sacrée. Lorsqu’une spectatrice le remercie pour avoir gardé son âme au travers des années, il répond : « Je n’ai pas gardé mon âme, c’est mon âme qui m’a gardé. » Toujours dans son français parfait, il nous déclare également qu’il n’a rien à dire sur le film, puisque ce dernier est suffisamment explicite. Emu comme les heureux spectateurs, le réalisateur nous quitte comme un véritable gourou après avoir livré ses conseils avisés, et ce, de la plus belle des manières. Est-ce que le cinéma peut nous guérir ? Oui, dit-il avec conviction.

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Il y a des passages au palais pas comme les autres, sur mon chemin vers la salle de presse, je me retrouve bloqué par un cordon de sécurité qui laissait sortir Rebecca Hall, Mark Rylance et Steven Spielberg de la conférence de presse du Bon Gros Géant, heureux hasard avant de gagner la salle Debussy pour The Transfiguration.

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The Transfiguration, premier long métrage de Michael O’Shea suit le triste quotidien de Milo (Eric Ruffin), un adolescent qui vit seul avec son grand frère dans une cité suite au suicide de leur mère. Fasciné par les vampires, le jeune homme poursuit sa passion de façon morbide en saignant aussi de pauvres proies qu’il trouve la nuit. Un soir, il rencontre Sophie (Chloe Devine), jeune fille aussi paumée qui se scarifie et s’offre dans les champs aux adolescents. Dans cette chronique d’un no future dans la cité, tourné tout en caméra épaule avec un penchant pour les infrabasses – j’ai cru que la salle allait s’effondrer durant une séquence ! -, le cinéaste n’offre pas une proposition de cinéma de genre convaincante, entre le drame et le film d’épouvante pur. Pourtant, Michael O’Shea semble connaître ses classiques sur les créatures aux longues canines, mais ni sa mise en scène, ni son scénario n’apportent satisfaction. En bref, rien de transcendant, hormis la découverte de deux jeunes comédiens avec un réel potentiel.

The Limiñanas on stage

The Limiñanas on stage

Retour en file express à Debussy pour la projection presse de American Honey d’Andrea Arnold : un échec, aucun badge jaune presse n’a pu accéder à la salle, il faudra s’y remettre au lendemain pour ceux ne pouvant pas tenter Bazin dans la nuit. La nuit, on la passe à la Villa Schweppes pour un show exceptionnel avec Philippe Manoeuvre, The Limiñanas et 2ManyDJs pour clore les festivités. Si les festivaliers sont peu nombreux pour le premier set, entre rock et music lounge, la montée sur la petite scène, surtout pour 6 musiciens, de The Limiñanas a vraiment lancé la soirée avec leur garage rock hypnotique à tendance psychédélique. Originaire de Perpignan, le groupe envoie ses mélodies électriques traversées par une voix suave face un public loin d’être conquis d’avance, mais les festivaliers jouent rapidement le jeu pour se positionner sur la piste, y compris les jeunes femmes perchées sur des talons aiguilles de plus de 10 cm. J’ai littéralement été frappé par la puissance de leur son et leur énergie communicatrice, leurs rythmiques venues d’une batterie la plus épurée, sans cymbale : c’est rentré par mes oreilles pour me saisir aux tripes, et je n’étais pas le seul ! Suite à leur show, la Villa se retrouve blindée par les festivaliers revenus des séances de gala, il faut alors prendre son mal en patience pour attraper un cocktail tandis que les 2ManyDJs enflamment à leur tour la salle et la terrasse. L’occasion malgré tout de retrouver des connaissances et de faire des connaissances professionnelles, mais également de discuter un peu musique avec quelques membres de The Limiñanas, dont je vous recommande l’écoute et de surveiller les dates de tournée. Une soirée explosive et démente qui laissera des traces sous les yeux avant d’attaquer les films de la sélection officielle de dimanche.

Les 2ManyDJs ont réduit l'espace de confort des festivaliers

Les 2ManyDJs ont réduit l’espace de confort des festivaliers

Article rédigé par Dom

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Un commentaire

  1. Ravi d’apprendre que Park Chan Wook reste au sommet !

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