Critique : The Revenant

Librement inspiré de l’histoire de survie d’un trappeur américain au début du XIXe siècle, The Revenant est un nouveau tour de force technique pour Alejandro González Iñárritu dans lequel Leonardo DiCaprio souffre comme jamais. La souffrance, véritable moteur de ce film sublimé par le travail du directeur de la photographie Emmanuel Lubezki. Critique de ce voyage hallucinant et éprouvant.

Tous des sauvages

Cinéaste de l’émotion, Alejandro González Iñárritu a définitivement migré vers un cinéma plus technique. Si la mutation était déjà en marche dans Biutiful, c’est son précédent film, Birdman, qui marque ce passage, cette évolution où le sentiment recule face à la performance technique. Car si Birdman et ses plans-séquences fantastiques touchaient encore, The Revenant ne trouve aucune puissance lorsqu’il s’agit de se concentrer sur les liens familiaux de Hugh Glass (Leonardo DiCaprio), trappeur portant le deuil de sa femme indienne et désormais de leur fils. Mais le film prend littéralement aux tripes, par sa violence omniprésente et l’immersion provoquée par un tournage exclusivement, ou presque, au steadicam avec des courtes focales. Le regard, continuellement guidé dans cette nature hostile aux bordures déformées par l’optique, ressemble à celui que l’on pourrait avoir avec un casque de réalité virtuelle vissé sur la tête. En ce sens, on pourrait voir ce long métrage comme une ouverture vers le cinéma à 360°, où le spectateur regardera la scène comme il pose son regard sur un lieu ou un événement. Mais en attendant d’avoir le choix de tourner la tête, Iñárritu ne nous épargne rien dans le calvaire de Hugh Glass, d’une gorge recousue à l’arrache au découpage d’un cheval, toute l’horreur passe au cœur du cadre. Dans cette frontalité complète, The Revenant perd toute la magie du hors-champ pour nourrir sa thématique principale, la sauvagerie à son paroxysme.

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Au cours du film, Hugh découvre un indien pendu avec un écriteau autour du cou. On peut y lire, en français, « On est tous des sauvages. » Dans ce film se déroulant au quart du XIXe siècle lors d’un rude hiver dans le Dakota du Sud, la violence habite tout un chacun, hommes et animaux. Le groupe de trappeurs dont fait partie Hugh est contraint de se replier sous les flèches d’une tribu indienne au début de film, ce qui conduit Hugh quelques jours plus tard, en éclaireur, à être attaqué par un ours. Mourant, Hugh Glass n’est pas abandonné, du moins, pas face au capitaine du groupe que campe avec force Domnhall Gleeson : son fils, un trappeur inexpérimenté et la brute ne jurant que par le gain Fitzgerald (Tom Hardy) sont payés pour veiller sur le blessé et l’enterrer à sa mort. Mais Fitzgerald trahit son commandement pour rejoindre au plus vite le premier camp et toucher son argent. The Revenant scinde alors son récit entre les deux figures principales, celle de Glass, rongé par le besoin de survivre pour se venger et celle de Fitzgerald, corrompue par l’appât du gain jusqu’au plus profond de l’âme. Si la nature se montre dangereuse par sa faune, le climat représente un danger aussi mortel que les différentes tribus indiennes, s’alliant avec certains groupes de colons, qui y rôdent.

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Héritant de films tels que Aguirre, la Colère de Dieu – notamment par le niveau de folie de Tom Hardy, rappelant celle de Klaus Kinski – et Le Nouveau monde de Terrence Malick – où Emmanuel Lubezki officiait comme chef opérateur –, The Revenant marie la beauté spectaculaire d’étendues enneigées à une violence qui dépasse les frontières du possible. Dans un certain sens, Iñárritu exploite à contre-pied la figure du super-héros qui habitait son précédent film : le pouvoir d’Hugh Glass serait de tromper la mort, quelle que soit les souffrances endurées. Jamais DiCaprio n’a eu dans sa carrière un rôle aussi difficile physiquement, et si d’aucuns dénoncent une performance exagérée, tentative désespérée de décrocher l’Oscar qu’il n’a jamais reçu – et qu’il devrait enfin obtenir –, ce serait oublier aussi la subtilité de son jeu. Pour ce film, le comédien a appris à s’exprimer dans deux langues indiennes et c’est aussi dans des séquences moins violentes mais tendue qu’il brille. Il y a notamment cette scène où, au bord d’une rivière, Hugh entend des indiens : il faut voir la peur qui habite son regard avant de se jeter à l’eau, ultime échappatoire possible. Au bout de son dernier acte ahurissant, The Revenant semble nous renvoyer à notre propre soif de sauvagerie. Quand la violence, omniprésente, n’est pas aseptisée par la mise en scène et le montage, le spectateur n’en tire plus aucun plaisir pour être fauché par l’effroi. Une expérience physique inouïe, à vivre au plus près de la toile.

4.5 étoiles

 

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The Revenant

Film américain
Réalisateur : Alejandro González Iñárritu
Avec : Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Domhnall Gleeson, Will Pouleter, Forrest Goodluck
Scénario de :
Durée : 136 mn
Genre : Aventure, Western
Date de sortie en France : 24 février 2016
Distributeur : Twentieth Century Fox France

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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17 commentaires

  1. Très belle critique qui donne envie de se précipiter dans les salles. Mon film le plus attendu de l’année (et probablement le grand choc 2016) Je me souviens de la version d’origine, Le Convoi Sauvage de Richard C Sarafian (1971) avec Richard Harris et John Huston. Mais tout semble transcendé ici.

  2. J’ai pu voir des extraits à la TV : Leonardo DiCaprio y est méconnaissable, c’est incroyable! . J’ai hâte de voir ce que le film va donner.

  3. @Francisco : je n’ai pas vu le film de Sarafian mais on m’a dit qu’il s’en éloigne énormément, plus épuré.

    J’espère qu’il vous plaira aussi.

  4. Carrément Dom!
    Pour moi, c’est un vrai choc cinématographique.
    Au delà du travail stupéfiant de Lubezki sur la photographie, c’est la férocité de la vision d’Inarritu qui m’a fasciné, à l’heure ou le cinéma est en train de sombrer soit dans la fadeur et la bien-pensance soit la Marvelisation du divertissement.

  5. Quant à la version de Sarafian, elle est aujourd’hui bien datée par rapport au tour de force d’Inarrittu.

  6. @Francisco : merci pour ton retour. Content de lire que tu aimes aussi le film !

  7. Magnifique réalisation, jeu d’acteur au top, paysages grandioses….mais scenario ridicule.
    Au vu des blessures infligées et des conditions de survie, il est impossible, inhumain, surnaturelle de pouvoir survire et en plus de se rétablir aussi vite pour faire face à ces successions de dangers.
    Sans compter la bonne dose de révisionniste à l’américaine écœurante au vu du génocide indien. Dans le film les americains sont gentils et bien veillants avec les indiens et ce sont les français qui incarnent le mal (ils violent, ils arnaquent, ils tuent). Non pas que je sois vexé en tant que français (je m’en contre fiche), mais ce pas positionnement commercialement très plaisant qui flatte le spectateur américain dans le sens du poil et qui nie l’horreur à l’origine de la création des Etats-Unis me choque.

  8. @Sergent Tobogo : d’où mon rapprochement vers le super-héros dans l’article vis à vis des blessures. Par contre, dans le film, ce groupe d’américain traite avec une tribu en particulier : ils sont justement en conflit avec une autre tribu dès le début du film. Quant au groupe de français, il ne faut pas extrapoler, d’autant que le film ne vante aucune valeur historique.

  9. Il est bon de rappeler également que les liens entre les trappeurs américains et les indiens étaient souvent pacifiques et les mariages mixtes fréquents. Avant l’horreur des guerres indiennes (virant à l’extermination en règle sous la conduite du général Custer) nombre de colons ont cherché à vivre au mieux auprès des populations indiennes. Parler de révisionnisme en citant The Revenant est une remarque totalement à contre-sens. C’est à se demander si le sergent Tobogo a vraiment vu le film. The Revenant est une oeuvre d’Art, un survival viscéral et expressionniste qui n’aspire à aucun moment a être un « film historique »

  10. Je vais certainement ne pas plaire à beaucoup, mais je ne l’ai vraiment pas trouvé top top ce film. Et le jeu d’acteur de di caprio encore moins. Je trouve justement qu’il ne me suscite pas beaucoup d’émotion dans ses rôles, jouant la peur, l’étonnement ou autres de la même façon, et ce dans quasiment tout ses films. Peut être est ce la méthode actor’s studio qui en général ne m’émeut pas plus que çà. A contrario je trouve Tom Hardy très bon (alors que je trouve qu’il a le charisme d’une huître dans mad max).

    Le film en lui même, belle collection de merde que se prend Glass tout au long du film, tellement que ça en devient surnaturel de pas avoir de chance à ce point. Alors baser tout un film sur des catastrophes plus grosses à chaque fois, que se prend un gars et qui s’en sort parfois limite limite (en terme de ficelle scénaristique), ça me donne vraiment l’impression que le réalisateur veut prendre le spectateur en otage en le malmenant (par l’intermédiaire de Glass donc) pour susciter un sentiment de sauvagerie et de violence. M’ouais j’aime pas trop cette façon de faire. La ligne rouge, qui pour moi partage avec The revenant un certain nombre de plan naturiste (ou comme dans la plupart des films de Malick d’ailleurs, le Nouveau monde effectivement), supposait, suggérait et proposait bien mieux la violence. Ici c’est quand même assez grossier même si certes c’est censé être le but.

  11. @EchoBoy : Tom Hardy est bon, mais je trouve que ses rôles sont de plus en plus redondants, il campe souvent la brute, du bon ou du mauvais côté, mais pour moi il peine à se renouveler.
    Après, tu es évidemment libre d’aimer ou non un film, quelle que soit l’opinion générale !

  12. Concernant tom Hardy, j’ai beau être vraiment fan, je l’ai trouvé en total sur-jeu dans Legend. Par contre j’attends avec impatience de le voir dans la série Taboo, écrite par Tom himself, son frangin, Chips Hardy, et Steven Knight (Peaky Blinders) le tout produit par Ridley Scott. Un immense moment de télévision à venir cette année.

  13. Tom hardy, au début, en l’ayant vu dans Mad max, je l’ai trouvé super nul comme acteur. Puis j’ai vu Tinker taylor soldier spy où il était méconnaissable (physiquement) et j’ai fait « woah c’est qui cet acteur il est bon », j’ai fait ma petite recherche internet et là j’ai fait « oh putain, c’est cet huître de Tom hardy. Mais il joue super bien en fait ». Puis face à la grosse machinerie médiatique et critique de Revenant qui n’en avait que pour Di caprio, et qui doit aligner en tout et pour tout 3 phrases de dialogue (c’est l’impression qu’il m’a donné en regardant le film), vous avez un Tom hardy à l’accent à couper au couteaux des redneck, qui bouge dans tout les sens pour continuer à exister et à duper son monde. Alors certes moi en général j’aime bien les acteurs facialement-monolithique-à-charisme (lol, Ryan Gosling dans Drive, Keanu Reeves dans John wick, etc. Pour moi ils n’ont aucune expression, jouent la peur, la joie, la colère de la même façon mais hey qu’est ce qu’on s’en fout ils en jettent quand même car ce sont des rôles et personnages qui ne demandent pas d’expression justement. Et dans ce cas précis, ces acteurs sont parfait), mais dans Revenant je trouve Di caprio tellement bof bof que forcément le rôle de Tom hardy s’en trouve rehaussé. Après ce n’est bien sur que mon avis, je n’ai jamais trouvé Di caprio très très bon. La faute à l’actor’s studio et à son visage juvenile je suppose (je n’arrive jamais à me sortir Quoi de neuf docteur et Romeo + Juliet à chaque fois que je le vois lol).

    @Francisco : Je ne suis pas un grand fan de Tom hardy, je ne l’ai vu que dans 3 films par contre je mate Peaky blinders en ce mmt et ma foi cette série déchire grave. Rien que pour sa BO : Nick Cave et PJ Harvey, rien que pour çà faut la mater cette série lol

  14. @Echoboy : pour moi sa diction se rapproche ici de ce qu’il a fait dans « Des hommes sans loi ». A mes yeux, son rôle clé, c’est dans « Bronson ». Il étend sa palette autour de sa puissance.

    @Francisco : je n’étais pas au courant de cette série – mais je commence en avoir un peu trop en cours en ce moment !

  15. @Fransciso, oui j’ai vu le film, et bien que très esthétique, je n’ai pas aimé ce qu’il disait.
    C’est binaire, c’est simpliste, c’est manichéen (et bien sur les « américains » sont du coté des gentils).
    Sans compter l’aspect surréaliste et « inhumaine » de la survie que je trouve ridicule.

  16. Pas de soucis, sergent. La perception que l’on a d’un film reste totalement subjective et c’est très bien ainsi. Pour moi The Revenant est un chef d’oeuvre absolu. Dans 20 ou 30 ans, selon moi, il fera encore référence comme un des plus grand films sur les liens de l’homme à la nature sauvage. Aux cotés de Jeremiah Johnson, Into the Wild ou Dersou Ouzala. Comme tous les grands films il n’est pas forcément perçu à sa juste mesure lors de sa sortie. C’est très à la mode aujourd’hui de basher des films ambitieux et de se rouler par terre pour des petits films d’auteur fauchés au discours éculés.

  17. Chef d’oeuvre ! Comme il y en a max 3-4 par an… Déjà certain d’être sur le podium 2016

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