Critique du film Birdman

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Il y a quatre ans, Biutiful marquait un changement radical dans le cinéma d’Alejandro Gonzales Iñárritu, délaissant le film choral pour introduire une part de fantastique. Avec Birdman, le cinéaste mexicain emprunte un nouveau virage, encore plus audacieux, s’éloignant de la fibre émotionnelle qui le caractérise tant pour livrer une étonnante satire de la célébrité autour d’une pièce de théâtre.

Phénix des planches

Au centre de Birdman, il y a Riggan Thomson, un acteur dont la carrière s’est limitée à un seul rôle clé, celui d’un super-héros qui donne au film son titre. Difficile de ne pas penser à un acteur comme Michael Keaton qui campa Batman pour Tim Burton avant de traverser un désert de seconds rôles et de films insignifiants. Et Iñárritu y pensait, puisque c’est à Keaton qu’il a offert le rôle principal, permettant au comédien de livrer sa plus impressionnante performance – parmi les prix d’interprétations en poche, on trouve un Golden Globe en attendant les Oscars – dans un film formellement atypique. Si le film choral caractérisait le début de la carrière d’Iñárritu, le réalisateur de Babel semble décidé à ne pas sombrer dans la routine, ou du moins, pas sans la réinventer. Autour de notre acteur déchu s’apprêtant à faire son retour non pas à Hollywood mais sur les planches de Broadway, à la fois comme metteur en scène et comédien, gravite une flopée de personnages, une ex-femme, des comédiennes et comédiens, un coproducteur, une critique et aussi une fille. Parfaitement écrit, Birdman dresse une énième satire de la célébrité tout comme le Maps to the stars de David Cronenberg l’an passé, mais la différence fondamentale avec tout ce qu’à pu entreprendre le cinéaste mexicain auparavant se trouve dans la forme : Birdman se déroule comme un unique plan-séquence de deux heures. A l’instar de La Corde d’Alfred Hitchcock, il y a quelques coupes, savamment masquées, mais surtout, le film se déroule dans un mouvement incessant effectué au steadicam ou bien en caméra épaule, apportant une ivresse rare à cette comédie dramatique, d’autant plus que les ellipses ne marquent aucune rupture dans cette ambitieuse entreprise.

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Le chef opérateur derrière ce tour de force technique s’appelle Emmanuel Lubezki, et si son nom n’évoque rien à votre esprit, quelques longs métrages auxquels il a participé ces dix dernières années devraient vous replonger dans des scènes ahurissantes ou splendides : Le Nouveau Monde, Les Fils de l’homme, The Tree of Life, A la merveille, Gravity – et prochainement en salle, Knight of cups. Des films à l’esthétique remarquable, avec des plans-séquences saisissants (chez Cuarón). Iñárritu pousse donc le directeur de la photographie à relever un défi pour Batman, non, Birdman ! Loin du simple caprice d’un réalisateur en manque d’attention, ce procédé permet tout d’abord aux comédiens de s’exprimer dans de longues séquences dialoguées comme les acteurs de théâtre qu’ils interprètent. Derrière Michael Keaton, Edward Norton brille à ce petit jeu dans le rôle d’un comédien talentueux mais au caractère infernal. La présence d’Edward Norton qui apporte aussi ici le spectre de Fight Club, lorsque sur scène, Riggan est appelé à se tirer une balle dans la tête. La folie égocentrique de la célébrité cherche alors un remède similaire à la schizophrénie anarchique provoquée par Tyler Durden. Le refus de la coupe nourrit aussi un point critique du film, envers les blockbusters ayant envahi le 7ème art pour ne rien lui apporter, ou si peu. Aux plans ultra courts et changements d’axes incalculables des superproductions hollywoodiennes, Birdman répond par la grâce déterminée du plan-séquence. Et dans cette valse avec les comédiens et le temps, il faut voir aussi la splendeur de la lumière qui caresse et creuse les visages, la nuit new-yorkaise dans laquelle on s’échappe quelques instants, et cette terrible teinte monochromatique lors de la scène finale de la pièce.

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Dès la première séance dans laquelle Riggan médite en état de lévitation, Birdman invite le spectateur dans la psyché du protagoniste. Entre la manifestation judicieuse de la conscience de Birdman d’abord en voix-off puis en se matérialisant et l’utilisation d’un pouvoir télékinésique, Iñárritu brouille les lignes de marquage avec le réel. En laissant les démons du subconscient se matérialiser, il s’inscrit dans la lignée d’un Black Swan dont l’histoire pourrait se dérouler à quelques rues d’ici. Et cet élément peut aussi représenter une échappatoire pour Riggan qui subit le génie prétentieux de Mike (le personnage d’Edward Norton), acteur ingérable, la pression suscitée des répétitions tournant toujours à la catastrophe tout de suite exposée sur internet, et son rapport avec les femmes de sa vie, notamment sa fille Sam (Emma Stone), tout juste sortie de désintoxication. A noter aussi la présence de Zach Galifianakis amaigri dans un rôle au comique très limité d’ami et coproducteur. Par sa mise en scène, impossible de résister au bouillonnement que provoque le rêve de reconnaissance de Riggan, cherchant à s’affirmer en dehors du système hollywoodien tandis qu’il lutte avec le fantôme de sa réussite. Sous son crâne dégarni, Birdman l’exhorte à abandonner la pièce de théâtre pour redevenir celui qui le plaça sous le feu des projecteurs vingt ans plus tôt. Dans les nombreuses thématiques du film, Birdman soulève une problématique aux enjeux multiples : même si la réussite de Riggan se limite à des blockbusters vieillissants, pourquoi ne pas s’en satisfaire, d’autant plus qu’il est toujours reconnu pour cela ? Est-ce la volonté d’être un véritable artiste qui motive Riggan ou simplement le besoin de voir son blason aux côtés des plus célèbres, comme George Clooney, mentionné dans une anecdote symptomatique de son mal-être – et par extension, du mal-être d’un grand nombre de comédiens. Bien que Birdman passe par certains lieux communs – aigreur critique, bataille d’égos –, en évitant certains clichés – le personnage de Sam part de l’archétype de la fille de star sans en suivre l’évolution attendue –, l’étude de caractère développée passionne à défaut d’émouvoir comme les précédentes œuvres d’Iñárritu. Il n’est d’ailleurs ni le premier, ni le dernier réalisateur à perdre ou simplement réduire un élément clé de son cinéma dans une entreprise hors-norme, poussant la technique dans ses dernières limites actuelles. Dynamisé par la batterie jazz d’Antonio Sanchez et un Michael Keaton possédé et séduisant, Birdman offre un point de vue critique original sur une société malade de notoriété, de pouvoir, et assoiffé d’argent jusqu’à en oublier l’humain. Dans ce monde de fous, qu’il doit être plus simple de mener la vie d’oiseau. Birdman, Bird people, deux œuvres radicalement différentes pour un même message ?

4 étoiles

 

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Birdman

Film américain
Réalisateur : Alejandro González Iñárritu
Avec : Michael Keaton, Emma Stone, Naomi Watts, Edward Norton, Zach Galifianakis
Scénario de :
Durée : 119 min
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie en France : 25 février 2015
Distributeur : Twentieth Century Fox

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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