[Critique] The Grandmaster (Wong Kar-Wai)

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Projet longuement repoussé, The Grandmaster retrace la vie d’Ip Man, maître du kung-fu qui deviendra le mentor de Bruce Lee. Après My Blueberry nights, le retour en Chine de Wong Kar-Wai est un étonnant raté, où splendeur et laideur se côtoient parfois au cœur d’une même scène.

Art en déclin

La carrière de Wong Kar-Wai se caractérise par un romantisme souvent touchée par la mélancolie, et bien que cet élément soit présent en arrière-plan dans ce nouveau long métrage, il est surprenant de voir le réalisateur revenir à un récit articulé autour des arts martiaux après une unique visite du genre (en 1994, avec Les cendres du temps). Il suffit de découvrir le combat ouvrant le film pour réaliser que The Grandmaster sera, en premier lieu, un échec sur le plan formel. Sous une pluie battante, Ip Man, joué par Tony Leung Chiu Wai, donne dans la véritable démonstration de maîtrise technique face à ses nombreux assaillants. Au cours de ce combat nocturne, la lisibilité de l’action est non seulement catastrophique à cause des trombes d’eau et de la pénombre, mais aussi par les choix de mise en scène et de montage du réalisateur chinois. Le travail du chorégraphe Woo-ping Yuen, qui a notamment œuvré sur Tigre et dragon, Kill Bill ou encore Crazy Kung-fu est sabordé par les ralentis saccadés si chers à Wong Kar-Wai, usant également d’hyper ralentis orientés sur les impacts de certains coups et déplacements des pieds de ses personnages. Un découpage de l’action au style hétéroclite particulièrement pénible, d’autant plus que cette sur-stylisation désordonnée affecte l’ensemble du film. Même la photographie léchée affiche des faiblesses de définition dans de trop nombreux plans pour ne pas repousser le spectateur en dehors de cette curieuse fresque, exposant de vifs contrastes esthétiques.

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Si Ip man narre sa vie, il ne constitue pas tout à fait l’épine dorsale de The Grandmaster, injectant une poignée de personnages fictifs à ce biopic fortement ancré dans l’histoire de Chine – le fonctionnement narratif n’est pas sans rappeler Adieu, ma concubine de Kaige Chen, qui trouvait sa source dans l’opéra. Au travers des autres grands maîtres du kung-fu qui se côtoient et s’affrontent, The Grandmaster évoque le déclin d’un art, la perte de codes d’honneur, dans un monde où les valeurs traditionnelles sont broyées par le temps et les bouleversements historiques. Particulièrement froid et inefficace sur le plan émotionnel de la vie d’Ip Man, c’est du côté de Gong Er (Zhang Ziyi) que le film trouve plus de consistance. Experte de la technique des 64 mains, Gong Er concentre à elle seule tous les regrets – nécessaire à toute vie selon le cinéaste – d’une vie sacrifiée sur l’autel de la vengeance. Des regrets et une mélancolie qui s’expriment à chaque scène, le kung-fu étant pour Wong Kar-Wai, avant une mélodie corporelle, un art spirituel et verbeux. L’abondance d’aphorismes et métaphores plonge parfois le récit dans une forme de torpeur. Et c’est avec une étrange indolence que s’écoule lentement ce long métrage qui opposera l’outrecuidance de la jeunesse face à la connaissance des anciens.

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Si Wong Kar-Wai souhaitait, au travers d’un hommage à Ip man, transmettre un message sur la nécessité de conservation et transmission de valeurs et techniques développant et préservant la grandeur d’âme, il détruit sa démarche par son propre langage cinématographique, perdant sa grâce et sa magie dans une forme d’outrance asphyxiante – et il n’est pas le seul grand touché par ce problème que l’on retrouve dans A la merveille de Terrence Malick et L’Ecume des jours de Michel Gondry. Ironiquement, le déclin du kung-fu décrit dans The Grandmaster provoque la dégénérescence du style fragile d’un grand cinéaste. Un surprenant et rebutant agrégat.

2 étoiles

 

The Grandmaster

the-grandmaster-afficheFilm hong-kongais, chinois, français
Réalisateur : Wong Kar-Wai
Avec : Tony Leung Chiu Wai, Zhang Ziyi, Chang Chen, Qingxiang Wang, Jin Zhang
Titre original : Yi dai zong shi
Scénario de : Wong Kar-Wai, Xu Haofeng, Zou Jingzhi
Durée : 122 min
Genre : Biopic, action
Date de sortie en France : 17 avril 2013
Distributeur : Wild Bunch Distribution


Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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3 commentaires

  1. Un grand film pour ma part. Le scénario ne me semble pas aussi mal fichu que ça. Le vrai problème c’est que ça tergiverse trop, car au final ce n’est pas une bio sur Ip Man mais bien « il était une fois le kung fu » comme le dit si bien la tagline. On ressent trop cette hésitation du réalisateur mais ça reste sublime… 3/4

  2. Mais d’où sort le personnage « La Lame » ?

  3. @Greg : Il me semble que c’est un personnage introduit rapidement lorsque Gong Er s’enfuit en train. Ensuite, oui, on connait peu sur son passé.

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