[Critique] The Act of Killing – L’acte de tuer (Joshua Oppenheimer)

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Second long métrage du texan Joshua Oppenheimer, The Act of Killing – L’acte de tuer est un documentaire d’une puissance sidérante. 1965, en Indonésie, la junte militaire se lance dans un massacre des opposants communistes – qu’ils le soient vraiment ou non –, menant à un génocide de plus d’un million d’individus. Aujourd’hui, les hommes à la tête de cette hécatombe restent impunis, menant une vie flirtant avec la célébrité dans un pays au gouvernement bienveillant à leur égard. Une œuvre terrible.

L’horreur est humaine

« Il est défendu de tuer ; tout meurtrier est puni, à moins qu’il n’ait tué en grande compagnie, et au son des trompettes. » Le film s’ouvre sur cette épigraphe de Voltaire avant de présenter simplement les faits, non pas en voix-off – procédé qui ne sera jamais employé – mais avec des informations textuelles. Avec de petites caméras numériques, Joshua Oppenheimer, Christine Cynn et un anonyme – nombreuses sont les personnes dont le nom n’apparaîtra pas au générique du film – ont suivi Anwar Congo et d’autres exécuteurs au quotidien, des individus qui ne se contentent pas de raconter fièrement leurs crimes, mais vont jusqu’à les rejouer eux-mêmes dans un film destiné à les immortaliser. Vieil homme visiblement en bonne santé, Anwar, lorsqu’il porte ses chemises à fleurs, tiendrait du retraité sympathique et ordinaire. Le monstre repose derrière des traits d’une grande banalité, son faciès n’est pas plus inquiétant que celui de l’illustre Nelson Mandela : seuls les mots et le mime trahissent sa véritable nature. Lorsqu’il évoque les exactions, les sadiques assassinats et leurs méthodes d’exécutions, c’est avec un plaisir non feint. Leur position est en réalité simple, pour eux, les communistes représentaient un ennemi à éradiquer. Dès lors, nul mal à évoquer leurs prouesses barbares. Le réalisateur évite tout manichéisme basique grâce à des scènes en compagnie de proches d’Anwar, où le monstre fait preuve de tendresse et de sérénité. Et contrairement à certains bourreaux aux mines patibulaires qui passeront devant la caméra de Oppenheimer, il témoigne de dégâts psychologiques, se manifestant par des cauchemars dont il ne peut se défaire.

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L’horreur jaillit par plusieurs axes. L’exposition des faits avec une trivialité impensable et ignoble, amplifiée par le plaisir affiché pour reconstituer certains événements pour leur film est au cœur du malaise ; l’absence de punition de ces criminels gonfle le lourd et révoltant sentiment d’injustice habitant ce documentaire. Chacun mène aujourd’hui une vie aisée, allant jusqu’à parader comme des célébrités, toujours protégés par un gouvernement et un groupe paramilitaire saluant et défendant leurs actes. La victoire contre le communisme dans un bain de sang se célèbre dans l’allégresse, racontée aux plus jeunes comme des exploits héroïques. Si les massacres sont terminés, les crimes continuent : lors d’une descente sur le marché, l’un d’eux rackette impunément des commerçants chinois afin de financer la production du long métrage de propagande. En Indonésie, l’engagement politique apparaît comme une triste foire où les militants sont illusoires, quidams rémunérés pour assister à des shows de véreux politiciens improvisés. Les journaux, ignorent ou déforment les faits. Lors d’une scène de reconstitution, un journaliste feint d’apprendre devant la caméra que des personnes étaient exécutés dans le bureau voisin de sa rédaction. L’un des bourreaux se moque de lui : il déclare qu’il est impossible que le journaliste n’ait jamais eu connaissance de ces crimes, effectués en grand nombre et en plein jour. Eloquent regard gêné vers la caméra.

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Témoignages infâmes, anecdotes nauséeuses et scènes d’endoctrinement constituent la triste routine de The Act of Killing – L’acte de tuer, remarquable pour ses révélations répugnantes sur la politique indonésienne et la nature humaine, mais aussi pour ce qu’il dénote sur le pouvoir du 7ème art. Car ces criminels vouent un véritable culte au cinéma, et plus particulièrement américain. Anwar déclare avoir été plus cruel que dans les films de gangsters – eux-mêmes se qualifient de gangsters, un terme qu’ils détournent pour « hommes libres », indispensables à la santé d’une nation – et les films sur les nazis. Lors d’une autre séquence, on le retrouvera avec un T-shirt à l’effigie de Transformers de Michael Bay. Des acteurs fétiches ? Al Pacino et Marlon Brando. On pense alors aux paroles prononcées par ce dernier en 1979 dans Apocalypse Now : « The horror… the horror… » Une horreur qui aura marqué la vie de ces individus détestables, aujourd’hui utilisant le pouvoir de propagande du cinéma afin de réaliser une œuvre à la frontière du documentaire et du divertissement – pour ne pas trop stresser le spectateur, comme le déclare l’un deux. Au cours d’une reconstitution, Oppenheimer est témoin d’une prise de conscience hallucinante : soudain, ces monstres réalisent que les communistes n’étaient en aucun cas des individus cruels et que, par conséquent, la vérité doit être déformée pour ne pas ternir leur image de gangsters œuvrant pour l’Indonésie. Rarement une possibilité de détournement du réel n’aura été capté avec autant de force et de simplicité. Enfin, c’est le pouvoir empathique du cinéma, de l’acte de jouer, que The Act of Killing – L’acte de tuer saisit brillamment. Jouant un communiste torturé, Anwar est frappé par un violent malaise, comme si, intérieurement, l’être humain affrontait tout à coup la bête sanguinaire. En revenant sur un lieu d’exécution présenté au début du film, un phénomène stupéfiant se produit : une invasion de remords semble pousser le monstre à quitter les entrailles de ce vieil homme. Etrange sursaut d’humanité au bout de cette expédition au cœur du sadisme… Plongeon dans l’horreur la plus pure, d’une intensité rare, The Act of Killing – L’acte de tuer est un documentaire exceptionnel et bouleversant.

5 étoiles

 

The Act of Killing – L’acte de tuer

the-act-of-killing-afficheFilm danois, norvégien, britannique
Réalisateur : Joshua Oppenheimer, Christine Cynn
Avec : Anwar Congo, Sakhyan Asmara, Syamsul Arifin, Haji Anif
Titre original : The Act of Killing
Durée : 114 min
Genre : Documentaire
Date de sortie en France : 10 avril 2013
Distributeur : ZED

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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2 commentaires

  1. J’aimerais tellement gagner!!!!!!!!!!!!!!!!!!

    Réponse : XXX

    MERCI!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

  2. @raimondo : j’ai modifié votre message, les réponses au jeu concours sont à envoyer par email uniquement.

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