[Critique] Les Hommes Libres (Ismael Ferroukhi)

La Seconde Guerre Mondiale n’a pas encore honoré tous ses héros au cinéma, la preuve avec Les Hommes Libres, nouveau récit inspiré de faits réels qui permet de revoir Tahar Rahim, révélation du Prophète de Jacques Audiard, dans une production française. Malheureusement, le film manque de transcender son cadre historique.

La mosquée résistante

Le « wikipedia movie » est un néologisme qui désigne un film qui traite son sujet à la façon d’un article de la célèbre encyclopédie en ligne. Les Hommes Libres rentre directement dans cette catégorie. Il permet de découvrir des héros méconnus de la résistance, des musulmans qui ont mit leur vie en péril pour sauver des juifs de la déportation, en les cachant au sein de la mosquée de Paris et en leur fournissant de faux papiers, le tout, sous l’impulsion du Recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit, interprété dans le film par Michael Lonsdale. Très instructif, le nouveau long-métrage d’Ismael Ferroukhi pêche par une approche artistique pauvre, le confinant au simple téléfilm. Rien dans la mise en scène ne permet d’amplifier la portée des événements et le film tient avant tout par le charisme de ses acteurs principaux, à savoir Mahmu Shalaby, Michael Lonsdale et Tahar Rahim. Ce dernier interprète Younes, un contrebandier qui subvient aux besoins des siens en Algérie jusqu’à ce qu’il soit attrapé par la gestapo. Proposé de voir son petit trafic ignoré s’il rapporte les faits et gestes du Recteur de la mosquée de Paris, Younes n’hésite pas une seconde à s’infiltrer parmi les fidèles.

Cette incursion permet de découvrir le vice des troupes nazies ainsi que le travail d’équilibriste de Si Kaddour Ben Ghabrit, collaborant en surface avec l’armée occupante, pour mieux dissimuler des juifs qui seraient condamnés à la déportation. Parmi eux, un jeune homme à la voix exceptionnelle : Salim (Mahmu Shalaby), qui agrémente le film lors de séquences musicales. D’un point de vue sociologique et historique, Les Hommes Libres apporte un précieux témoignage de l’aide apportée aux juifs par les musulmans, un fait qui pourrait sembler insensé tant nous sommes tristement habitués à opposer ces religions au travers du conflit israélo-palestinien. Il y a même une prise de conscience, un appel à la résistance cristallisé en Younes qui fera preuve d’actes d’héroïsme relevant le rythme et la tension du film. Mais malgré quelques scènes plus dynamiques, le sentiment d’assister à une terne leçon d’histoire en image, au même titre que L’Armée du crime de Robert Guédiguian, garde le dessus jusqu’à la dernière minute. Dommage.

2 étoiles

 

Les Hommes Libres

Film français
Réalisateur : Ismael Ferroukhi
Avec : Tahar Rahim, Michael Lonsdale, Mahmud Shalaby, Lubna Azabal
Scénario de : Ismael Ferroukhi, Alain-Michel Blanc
Durée : 99 min
Genre : Drame, Historique
Date de sortie en France : 28 septembre 2011
Distributeur : Pyramide Distribution

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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2 commentaires

  1. Résistance à la Mosquée de Paris : histoire ou fiction ?

    Le film Les hommes libres d’Ismël Ferroukhi est sympathique mais entretient des rapports assez lointains avec la vérité historique. Il est exact que le chanteur Selim (Simon) Halali fut sauvé par la délivrance de papiers attestant faussement de sa musulmanité. D’autres juifs furent probablement protégés par des membres de la Mosquée dans des conditions identiques.
    Mais prétendre que la Mosquée de Paris a abrité et, plus encore, organisé un réseau de résistance pour sauver des juifs, ne repose sur aucun témoignage recueilli ni sur aucune archive réelle. Cela relève de l’imaginaire.
    Mon travail en archives depuis des années, me permet de rectifier ces exagérations et de ramener la réalité à ce qu’elle a eu de plus banale.

    Le recteur Si Kaddour Ben Ghabrit fut une incontestable personnalité franco-musulmane ayant joué, au service de la diplomatie française et la défense des intérêts musulmans, un rôle primordial dès le début du siècle. Il entre dans les cadres du ministère des Affaires étrangères dès 1892. Kaddour Ben Ghabrit a su dépasser le dualisme de la confrontation et expérimenté la combinaison des cultures et des dynamiques de civilisation.
    Pièce maîtresse de la réalisation de la Mosquée de Paris, de 1920 à 1926, il l’a ensuite dirigée jusqu’à sa mort en 1954. Quel fut son rôle sous l’Occupation ?

    Il n’a pas été un collaborateur, n’ayant fourni aucun renseignement, aucune aide ni à l’armée ni à la police allemande, pas plus qu’aux services de Vichy collaborationnistes. Il n’a pu éviter ni les demandes d’audience ni quelques photos prises notamment lors de la remise à ses fonctions premières de l’Hôpital franco musulman en février 1941 en présence du prince Ratibor, représentant allemand de la place de Paris. C’est tout.

    Mais il a refusé toute photo prise dans l’enceinte de la Mosquée, comme il a habilement repoussé tout appui à une déclaration du mufti de Jérusalem, collaborant avec l’Allemagne nazie, pour un appel au soulèvement des peuples musulmans colonisés par la France et la Grande-Bretagne. Il s’est toujours réfugié derrière la distinction du religieux et du politique.
    À la Libération, il fut accusé par certains d’avoir été complaisant avec les Allemands. Et a dû se défendre.
    Or, j’ai découvert les rapports écrits par Si Kaddour Ben Ghabrit lui-même, par Rageot, consul de France au ministère des Affaires étrangères, chargé depuis 1940 de suivre les affaires de la Mosquée de Paris, et par Rober Raynaud, secrétaire général de l’Institut musulman depuis sa création. Ces écrits furent remis au capitaine Noël, officier d’ordonnance du général Catroux à l’Hôtel Intercontinental le 22 septembre 1944. Ils concernent tous l’activité de la Mosquée sous l’Occupation.
    Voici le témoignage de Rageot : « Je dois dire que j’ai moi-même été tenu au jour le jour, exactement informé de ce qui se passait, coups de téléphone, demandes d’audience, conversations, démarches, etc… et que M. Ben Ghabrit et moi nous sommes régulièrement concertés sur l’attitude à observer et les réponses à faire. Nous ne pouvions demeurer invulnérables qu’à deux conditions : rester sur le terrain religieux et nous abstenir de toute politique. M. Ben Ghabrit y a parfaitement réussi.
    Sur le terrain cultuel, en multipliant son aide et ses soins aux musulmans, prisonniers ou civils qui ont afflué à la Mosquée chaque année de plus en plus nombreux.
    Sur le terrain politique, en s’abstenant de prendre parti dans les questions touchant à la collaboration, au séparatisme, au Destour et d’une façon plus générale, de répondre aux attaques dont la Mosquée a été l’objet de la part de musulmans à la solde de l’ambassade. Jamais, en cette matière, M. Ben Ghabrit ne s’est laissé prendre en défaut et il a su imposer la même discipline à son personnel religieux. En cela il s’est attiré personnellement et à plusieurs reprises l’animosité des autorités allemandes. »

    Par contre, aucun de ces mémorandums ne mentionne la moindre activité de résistance, ce qui aurait constitué – si cela avait été vrai – la meilleure défense contre l’accusation de collaboration.

    La seule mention d’une activité de résistance organisée et systématique en faveur des juifs et d’autres (communistes, francs-maçons) par la Mosquée de Paris provient d’un témoignage postérieur et unique, celui d’Albert Assouline, aujourd’hui disparu. Il a écrit dans le Bulletin des Amis de l’islam, n° 11, 3e trimestre 1983, déposé aux archives de la Seine-Saint-Denis. Mais ce n’est pas une « archive ». Il a ensuite réitéré ses affirmations dans le documentaire, Une résistance oubliée… la Mosquée de Paris, 40 à 44 dû à Hassan Berkani en 1990.
    Mais Assouline ne parle pas de réseaux de résistance et ses propos empathiques sur des centaines de personnes abritées et sauvées sont suspects aux yeux de l’historien qui cherche à confronter les témoignages et à les recouper. Je pourrai prouver qu’il se trompe sur un point précis concernant le sort d’une importante personnalité française qui n’a jamais été accueillie par la Mosquée contrairement à ce que dit Assouline. De toute façon, jamais aucun témoin n’a corroboré ses dires.
    L’activité de la Mosquée de Paris sous l’Occupation a essentiellement consisté à assurer les ablutions, ensevelissements et obsèques de 1500 musulmans décédés à leur domicile, dans les hôpitaux, les prisons ou les sanas ; à distribuer des denrées, des secours et vêtements aux indigents, aux prisonniers libérés, évadés ou en situation irrégulière. Des repas ont été servis tous les vendredi au restaurant de la Mosquée, réservés plus spécialement aux prisonniers musulmans en traitement dans les hôpitaux et en instance de libération. Trois fêtes musulmanes ont été célébrées chaque année : Aïd-Es-Seghir, Aïd-El-Kebir et Mouloud. Ces fêtes ont toujours revêtu un caractère purement religieux et aucun élément étranger à l’Islam n’a été autorisé à assister à ces manifestations. Les imams de la Mosquée de Paris se rendaient fréquemment en province pour assister aux obsèques de militaires musulmans prisonniers de guerre etc…
    Mais ces histoires d’évasions rocambolesques par les souterrains de la Mosquée et les égoûts menant à la Seine relèvent d’une littérature à la Alexandre Dumas ou Eugène Sue. Pas de la réalité historique.
    Il est quand même surprenant que la fiction l’emporte à ce point sur la vérité. On ne manie pas impunément le réel historique.

    Michel Renard, historien, chercheur
    Co-auteur de Histoire de l’islam et des musulmans en France (Albin Michel, 2006) et Histoire de la Mosquée de Paris (à paraître chez Flammarion).

  2. Michel, merci pour ce commentaire très intéressant qui remet en cause de nombreux éléments présentés dans le film. On revient à cet éternel problème lorsque le cinéma se positionne en professeur d’Histoire : quelle est la part du vrai ? quelle est la part romancée ?

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