Cannes 2019 : De la splendeur

Les voilà, les chocs cannois espérés : dimanche il n’aura été possible que de découvrir deux films, mais quels films ! Chronique de futurs films primés : Le Lac aux oies sauvages de Diao Yinan et Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Et on enchaîne avec les premières découvertes de la seconde semaine, Une vie cachée de Terrence Malick et Nina Wu de Midi Z.

Diao Yinan avait reçu le Lion d’Or à Venise pour Black Coal. Un drame poignant qui prenait les traits du thriller ça et là, un peu dans la tendance de certains cinéastes sud-coréens. Cette fois, avec Le Lac aux oies sauvages, la démarche est similaire, mais le geste, lui, se montre encore plus fin et assuré. Dans cette chasse à l’homme désespérée, le cinéaste nous fait découvrir une Chine souterraine et marginale : le lac dont il est question est un secteur où la loi ne s’applique guère, où les magouilles en tout genre fleurissent et où la prostitution s’exercent dans le fameux lac en question avec des « baigneuses. » Cette zone labyrinthique sera le refuge d’un criminel en fuite, ayant abattu un policier par mégarde alors qu’il fuyait une embuscade d’une bande rivale lors d’un vol de motos – impressionnantes séquences. Un gangster avec une tête mise à prix par la police, et qui dans son malheur, cherche à revoir sa femme une dernière fois afin qu’elle le dénonce et empoche la prime promise par la police. Diao Yinan nous livre un pur film de mise en scène, sublimant des lieux désolés, des nuits abyssales, des taudis effroyables où les traîtres cupides se multiplient à une vitesse fulgurante. Chaque séquence nous donne un plaisir fou par la mise en scène si travaillée, en mouvement et avec grâce : tout y est sublimé, d’une hésitation autour d’un pilier aux lueurs des phares de motos perçant la nuit. Il y a ici un vrai potentiel pour remporter le prix de la mise en scène, voire plus avec la lumière à laquelle s’accroche le cinéaste dans sa spirale infernale. Quoi qu’il en soit, ce film qui fut découvert par Quentin Tarantino la veille en séance de gala constitue un élément majeur de la riche compétition du 72ème Festival de Cannes, mais n’oublions pas que l’année dernière, Lee Chang-Dong s’en alla bredouille avec le superbe Burning. Ce film avec Ge Hu, Liao Fan et Lun-mei Gwei sortira en France le 27 novembre 2019.

Aussitôt en dehors du Grand Théâtre Lumière, aussitôt de retour dans l’une de ses files : à 16h, Céline Sciamma présente son nouveau long métrage en compétition, Portrait de la jeune fille en feu avec Adèle Haenel et Noémie Merlant. De la « bande de filles » contemporaine, Sciamma glisse vers la fin du XVIIIème siècle pour une odyssée sentimentale recoupant les thématiques d’un des favoris du festival, le film de Pedro Almodóvar. Marianne (Noémie Merlant) est une jeune peintre expérimentée, appelée à faire le portrait d’Héloïse (Adèle Haenel), une jeune femme sortie du couvent par sa mère afin d’épouser un milanais fortuné à la place de sa sœur, décédée dans d’horribles circonstances. Une mission particulière puisque Marianne doit se faire passer pour une simple compagnie pour la futur mariée, pour la peindre en secret. Avec sa lumière et ses costumes magnifiques, ce somptueux film dépeint la naissance du désir ainsi que les forces qui agitent une artiste et son sujet. Il est question d’art, de sentiment, mais aussi de liberté pour les femmes : la liberté du corps ainsi que la liberté artistique dans une société loin d’être ouverte, régie par de rigides conventions. Les comédiennes sont fabuleuses dans ce drame dont la lumière, le maquillage et les costumes les subliment dans chaque plan, dans une œuvre capable de changer la cadence du palpitant par une fuite, par un visage en larmes, par la puissance d’un désir interdit. Céline Sciamma passe clairement un cap avec ce long métrage, sa dimension féministe et sa puissance sentimentale en font la plus grande œuvre découverte en compétition : un véritable coup de pinceau vers la Palme d’or. En salle le 18 septembre 2019.

Une standing ovation émouvante

A Cannes, on redoute toujours l’instant où l’on se positionnera dans une file en vain. Après 19 séances sans échec, c’est pour The Lighthouse à la Quinzaine des réalisateurs que le drame survient, suite à plus 100 minutes d’attente sous une pluie croissante. Heureusement, on fait aussi de belles rencontres dans ces moments, avec des journalistes ainsi que d’autres personnes oeuvrant dans le milieu du cinéma.

Portrait du vieux Carlton en feu

Le soir, la plage Nespresso abrite la soirée d’ouverture de la Semaine de la Critique et par chance, les nuages nous ont laissé du répit pour profiter de tout l’espace. Si la musique électronique semble sortir d’une boite anodine à l’approche de sa fermeture, les cocktails et les festivaliers présents suffisent à rendre cet événement jovial et récréatif, avec des conversations toujours axées autour des films découverts, des prétendants à la Palme d’Or, et de la qualité confirmée des différentes sélections.
Sur les coups de 2 heures, au Petit Majestic, les festivaliers sont nombreux et je me retrouve à regagner mon toit à une trop tardive pour être frais le lendemain, mais avec la possibilité de découvrir un nouveau Terrence Malick, la motivation est simple à trouver !

Lundi 20 mai 2019. La croisette est belle quand elle est déserte, encore gorgée d’eau de pluie de la veille mais appelées à s’évaporer avec le soleil matinal. Dans la file pour Une vie cachée, j’ai la chance de rencontrer le mixeur du film Little Joe. Nous discutons du film ainsi que du festival en attendant l’un des événements majeurs de cette 72ème édition.

Terrence Malick est de retour sur la croisette, huit ans après la Palme d’Or reçue pour The Tree of Life ! Inspiré de faits réels, Une vie cachée conduit le cinéaste à revenir à une narration linéaire, dans le village autrichien de Radegund au cours de la Seconde Guerre Mondiale, où Franz (August Diehl), un fermier, refusera de servir en soldat pour l’Allemagne nazie. Toute la magnificence du langage filmique développée par Terrence Malick au cours des dernières années sublime la nature autrichienne, ces montagnes qui semblent regarder avec bienveillance ce village, cette famille dont le père sera arraché pour gagner une prison, un homme fidèle à ses idées, à sa droiture d’esprit, une droiture comme absolu, en des temps obscurs où même l’Eglise collabore avec les plus grandes forces de l’ombre. Le film se divise alors entre le quotidien de Franziska (Valerie Pachner), seule pour élever leur trois enfants et s’occuper de la ferme tandis que les autres villageois lui accordent un effroyable mépris et celui de Franz, affrontant des monstres du troisième reich sans jamais fléchir. Voix-off d’une relation alors devenue épistolaire, entre l’espoir de voir la guerre s’achever et la fatalité face à un régime qui ne tolère aucun dissident. A quoi sert le geste de Franz ? Cette question qui lui est souvent posée, puisque personne n’entendra parler de son refus, et que son refus de servir ne modifiera pas le cours de la guerre est ce qui motive le geste du cinéaste : Terrence Malick nous montre un oublié dont la décision s’avère pourtant capitale d’un point de vue spirituel et moral. Franz est peut-être le dernier des saints dans son action, et Malick nous raconte cette tragédie avec la grâce qui habite son cinéma depuis tant d’années déjà. Au fond, tout comme Bacurau, Malick met en scène une révolte, mais une révolte par le silence, par le refus. Malick montre que l’on peut être du côté des justes en étant seul, que la souffrance est parfois la seule voie à suivre en des périodes terribles – une simple pensée et si juste issue d’un dialogue : « Il vaut mieux subir l’injustice plutôt que de la commettre ». Soudain, le film résonne avec notre époque par son message, et les dernières minutes de ce long métrage de 2H53 bouleversent profondément. On sort abasourdi par ce film qui conjugue sa beauté formelle avec l’horreur du cadre, et il serait difficile d’imaginer ce film non récompensé. Le Grand Prix, si l’on attribue toujours la Palme d’Or à Céline Sciamma ? En salle le 11 décembre 2019.

L’après-midi, retour à Debussy pour la compétition Un Certain Regard avec Nina Wu du taïwanais Midi Z. Il est rare qu’une séance – en dehors de celle de minuit – débute avec du retard, c’est pourtant le cas pour celle-ci mais non pas pour une raison technique : sur scène, Thierry Frémaux nous annonce qu’un cinéaste présentant son film le lendemain nous a rejoint, et son emploi du temps a conduit à ce retard. Nous parlons évidemment de Quentin Tarantino, vivement applaudi par la salle. Ci-dessus en photo, l’équipe du film.

Co-écrit avec sa brillante comédienne Wu Ke-Xi, le film de Midi Z dépeint l’enfer traversée par les comédiennes en quête de rôles au cinéma. Wu Ke-Xi incarne Nina Wu, une actrice qui n’a jusqu’à présent joué que dans une poignée de courts métrages et publicités. On lui propose un rôle soit disant en or, mais il y a des scènes de nus et de sexe. Qu’importe, elle se livre en casting pour décrocher ce rôle clé, ce sésame pour des jours meilleurs. Sur le plateau, elle subit les violences du réalisateur qui se montre particulièrement dur et cruel avec elle, mais ce sont évidemment des actions qu’il estime nécessaire pour le bien du film, au nom de l’art. Avec une mise en scène soignée, Nina Wu nous plonge dans une spirale cauchemardesque où la réalité devient de plus en plus difficile à distinguer des mauvais rêves de la jeune femme, épousant une psyché ravagée par des hommes de pouvoir immondes. On pense évidemment à l’affaire Weinstein face à cette œuvre qui, malgré un ventre mou et un caractère parfois répétitif, trouble profondément.

Article rédigé par Dom

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Un commentaire

  1. Merci Dom pour ce post

    J’avoue que j’ai pas été spécialement emballé par « Portrait de la jeune fille en feu », surtout Noemie Marlant, que j’ai trouvé terriblement ennuyeuse

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