[Cannes 2013] #02 Jeunes et jolies

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Les files d’attente se multiplient autour des salles de projection de la croisette tandis que les parapluies fleurissent. Le cadre idéal pour la projection de la version restaurée des Parapluies de Cherbourg à Cannes Classics. Deuxième jour de festival avec quatre films découvert et un zoom sur deux d’entre eux : Le Congrès et Jeune et Jolie.

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Robin Wright est en larmes. La caméra s’éloigne doucement du visage de l’actrice tandis qu’une personne lui répète qu’elle n’a fait que des mauvais choix de carrière. Séquence terriblement émouvante – d’autant plus qu’elle est appelée par son véritable prénom – pour entrer dans Le Congrès, nouveau film d’Ari Folman (Valse avec Bachir), présenté tôt jeudi matin en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs. Film hybride, partagé entre prises de vues réelles et animation, ce long métrage est adapté d’un roman de Stanislas Lem. Robin est donc une actrice, vivant avec ses deux enfants en bordure d’un aéroport, cadre désolé et impressionnant où son fils, touché par un syndrome qui affecte son ouïe et prendra bientôt sa vue, prend plaisir à envoyer son cerf-volant au-dessus des pistes. Son agent, joué par Harvey Keitel, lui propose un étrange contrat : renoncer définitivement à sa carrière d’actrice, au point mort, pour être remplacée par une version numérisée d’elle-même dans les films de la Miramount. On pense à la politique des studios qui était en place au début du cinéma parlant, mais plus vicieuse, plus cynique, suivant un processus de déshumanisation effrayant. Robin Wright se montre absolument impériale dans cette première partie où l’on passe rapidement du rire à une vive émotion, comme dans la bouleversante séquence où son agent lui fait des aveux alors qu’une machine scanne ses émotions dans des flashs inquiétants.

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Dans une scène ahurissante, Le Congrès quitte ses acteurs de chair et de sang pour entrer au travers de l’animation dans un univers futuriste étrange, hallucinant, aux couleurs fantastiques. Moins engageante que la première partie – mais répondant à la logique que ce monde soit repoussant –, cette échappée pleine d’amertume présente de nombreux éléments passionnants. Il est question d’échapper au réel, d’accéder à une forme travestie de libre arbitre, où la jeunesse est éternelle, notamment au travers de ses stars préférées, fantômes ramenés à la vie par des drogues. On y croise Picasso au bras de Beyoncé, Clint Eastwood et même Michael Jackson serveur dans un restaurant ! Alors que le film concentrait ses thématiques sur le cinéma, il s’ouvre ici entièrement à la vie. Mais le charme de l’animation de Valse avec Bachir n’est pas présent, et les traits dystopiques appellent parfois à des poncifs qui auraient pû être écartés pour garder en ligne de mire le destin de cette femme broyée par un système qui aura toujours sacrifié les sentiments sur l’autel du capitalisme. Imparfaite, cette nouvelle expérience cinématographique proposée par Ari Folman se montre toutefois forte et originale dans le paysage de la science-fiction saturé par le recyclage d’idées. Le Congrès frappe par son passage d’une triste révolution cinématographique à une apocalypse chimique, marquée par la solitude, l’illusion et la déformation complète de la vie. Sombre et touchant.
Le Congrès, un film d’Ari Folman, en salle le 3 juillet 2013.

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Premier jour de compétition et premières frayeurs de festivalier : voir les films en compétition officielle en dehors des séances de 8:30 – pour les films dont la montée des marches se déroule à 19:00 – devrait relever du vrai parcours du combattant. Ainsi, c’est un peu par chance que j’ai pu découvrir au Grand Théâtre Lumière le film de François Ozon à 14:30, Jeune et Jolie. Au programme quatre saisons et quatre chansons dans le quotidien d’une adolescente découvrant la sexualité. Tout débute un été dans le Sud de la France, Isabelle (Marine Vacth) est en vacances avec sa famille, elle n’a pas encore soufflé ses 17 bougies qu’elle perd sa virginité avec un bel étranger. Ce n’est pas avec passion qu’elle abandonne son enfance sur le rivage, mais comme un devoir, une chose à accomplir et qu’elle confie à son frère cadet, intrigué par la sexualité de sa soeur. Le temps d’une chanson pop et l’automne s’installe, à Paris. Désormais, Isabelle se prostitue, donnant rendez-vous à des hommes bien plus âgés dans des hôtels. Pour 300 euros, elle se plie à leurs désirs sexuels, et c’est là que Jeune et Jolie fascine. Séductrice énigmatique – Marina Vacth est la révélation du film –, Isabelle, qui se fait appeler Léa auprès de ses clients, prénom de sa grand mère, ne semble prendre aucun plaisir durant l’acte, ne semble rien tirer de ses billets qu’elle cache dans l’appartement familial – elle vit dans une famille relativement aisée. Alors pourquoi cette fine silhouette aux yeux bleus ravageurs offre son corps ? C’est un mystère que tente de percer maladroitement Ozon, car au fond, sa volonté est de le préserver. Suite à un accident, la routine d’Isabelle est brisée, et les saisons des questions, de la tristesse et de l’inquiétude parentales s’installent. Seulement, en modifiant constamment la trajectoire de son récit, Jeune et Jolie finit par rester autant à la surface de son personnage, au corps filmé délicatement, même dans les ébats, que de son propos. Une escapade dans la vie d’une adolescente troublée par son pouvoir de séduction un brin trop lisse.
Jeune et Jolie, un film de François Ozon, en salle le 21 août 2013.

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On quitte le Grand Théâtre Lumière, en croisant Nicole Kidman, Steven Spielberg et Christoph Waltz pour s’engouffrer dans la salle Debussy. La journée continue avec deux films en compétition officielle, tous deux dépeignant une triste réalité sociale de leur pays : A Touch of Sin de Jia Zhang-Ke et Heli d’Amat Escalante. Le premier est fascinant dans son premier segment, lutte des classes radicales où un homme se lance dans une odyssée meurtrières face aux promesses non tenues par les dirigeants locaux. A Touch of Sin s’avère finalement être un film choral, acculant ses personnages jusqu’à provoquer la mort d’une façon ou d’une autre. Bien que la mise en scène soit soignée, le propos social reste vague – on a la sensation qu’il manque au spectateur occidental certaines clés –, mais surtout, sa méthode de passage d’un individu à l’autre déconcerte, redémarre constamment le film et finit par lasser dans sa logique inéluctable. Avec Heli, Escalante prouve qu’il est définitivement l’enfant dégénéré du cinéma de Haneke. Au travers du parcours de Heli et sa soeur Estela, il présente un Mexique baignant dans la misère et l’horreur, sous fond de trafic de drogue. Esthétiquement, le film épate souvent, mais on ressent toujours chez Escalante ce méprisant besoin d’aligner des images chocs, de pervertir son message à renfort de scènes insupportables – allez, on fait la liste : pendaison, pénis incendié, chiens exécutés, passages à tabac, … Comme ses deux jeunes protagonistes, confrontés à un monde aride et cruel, le spectateur subit cette tranche de vie comme un chemin de croix concocté par un cinéaste se complaisant dans la violence d’un quotidien déjà morose.

La nuit s’achève sur la Terrazza Martini, à l’abri d’une pluie incessante où l’ambiance festive est au rendez-vous. Vendredi, le programme cinéma sera plus léger, avec deux films : Le Passé et Like Father, like son. Des nouvelles du Festival à retrouver dès demain.

Article rédigé par Dom

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