Critique : Tár

Écrit pour Cate Blanchett et sublimé par l’actrice australienne, Tár de Todd Field dresse le portrait tout en nuances d’une icône de la musique classique, cheffe d’orchestre de premier rang mais qui, derrière son talent, cache une personnalité loin d’être admirable. Une œuvre puissante ouvrant à plusieurs grilles de lecture.

Grandeur et déchéance

Tout le début du nouveau long-métrage de Todd Field vise à nous exposer le talent inouï de cette femme multi-récompensée dans un univers où les hommes, qui mènent les orchestres à la baguette, règnent sans partage. Un univers éclectique, avec ses codes, ses grandes figures, et son penchant naturel pour le raffinement. Si les premiers chapitres du film suggèrent que le quidam va se heurter à un milieu ésotérique pendant plus de deux heures, les barrières tomberont peu à peu, en découvrant notamment les différentes facettes de Lydia Tár, lorsqu’elle n’est pas en public ou dans la sphère purement privée. Si le rôle a été pensé pour Cate Blanchett, la comédienne a du travailler énormément pour devenir cette artiste : reprise du piano – elle joue chaque note jouée par son personnage –, maîtrise de l’allemand – Lydia est la première femme à officier comme cheffe d’orchestre de l’Orchestre Philharmonique de Berlin –, et bien entendu, le poste implique toute une gestuelle à maîtriser. La comédienne, récompensée à Venise en 2022 de la Coupe Volpi de la meilleure actrice, se montre absolument impériale et pourrait peut-être recevoir dans quelques semaines son troisième Oscar. C’est le sens même de l’incarnation, sans aller du côté de la performance « démonstrative et ostentatoire », d’autant plus qu’elle n’est pas le seul argument de ce film à la mise en scène et au montage subtils.

Tár, c’est donc la découverte d’un univers musical élitiste, et si certains dialogues peuvent désarçonner, les enjeux se montreront simples et percutants, comme lorsque Lydia a un échange pour le moins problématique avec un étudiant de la Juilliard School de New-York – avec une utilisation puissante des mouvements de caméra. Todd Field nous invite dans le quotidien d’une légende de la musique classique, une artiste qui, face à l’admiration suscitée, apparaît comme irréprochable. Pourtant, cette femme expose progressivement ses faiblesses et défauts, et le film s’élève par ce contraste entre la quête d’une certaine forme de perfection dans l’art, la maestria, et un comportement problématique sur le plan humain. Il y a son rapport cruel avec une assistante dévouée, Francesca – Noémie Merlant, elle aussi remarquable –, sa vie de famille troublée avec la première violoniste de l’orchestre, Sharon (Nina Hoss), et le déni face à une situation horrible qu’elle a provoqué. Tár emprunte au schéma si puissant ascension et chute (ou plutôt, zénith et chute) mais sans en exploiter les poncifs. L’altération du portrait un temps hagiographique s’avère d’autant plus passionnante que Lydia Tár ne tombe pas dans les bas-fonds de la race humaine : il y a un glissement du divin à l’humain, c’est-à-dire avec sa part sombre, plus ou moins grande, et plus ou moins détestable. Une partition pleine de nuances, de textures diverses, grâce à des variations, des notes qui nourrissent un large spectre d’émotions et de couleurs. Lors d’une séquence de composition au piano, Lydiar Tár joue avec la transition d’une gamme majeure à une gamme mineure : c’est ce que parvient à faire Todd Field ici, jouer sur les émotions grâce à son jeu sur le langage cinématographique, notamment dans l’emploi des espaces, souvent vastes, où évoluent les personnages. 

La musique tient évidemment une place capitale dans ce long-métrage, en étant loin de se limiter au classique, tournant principalement autour de la 5e symphonie de Gustav Mahler. Il y a d’ailleurs des ponts entre les cultures et les genres, de l’aspect mystique du morceau d’ouverture aux pulsations électroniques de clôture. Et il est primordial de découvrir ce film dans une salle à l’acoustique préservée des sons extérieurs, car il y a presque toujours une note qui flotte, parfois comme un drone, offrant une tonalité à chaque scène. Dans Tár, la passion artistique rejoint les dangereux élans de la passion amoureuse, confinant à une certaine forme d’aliénation. Il y a des mondes qui se nourrissent et s’entrechoquent, une stature fluctuante qui semble répondre aux injonctions d’un monde où tout doit être noir ou blanc : certes, ce sont bel et bien les composantes d’une partition, mais dont le mariage offre inexorablement plusieurs niveaux de gris.

4 étoiles

 

Tár

Film américain
Réalisateur : Todd Field
Avec : Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss, Sophie Kauer, Mark Strong, Allan Corduner, Julian Glover
Scénario de : Todd Field
Durée : 158 min
Genre : Drame, Musical
Date de sortie en France : 25 janvier 2023
Distributeur : Universal Pictures International France

 

Photos du film Copyright 2022 Focus Features, LLC

Article rédigé par Dom

Partagez cet article avec vos amis ou votre communauté :

Twitter Facebook Google Plus

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Comments links could be nofollow free.

 

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Avant de publier un commentaire, vous devez lire et approuver notre politique de confidentialité.