Critique : First Cow

Prix du jury au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020, First Cow de Kelly Reichardt est à découvrir sur la plateforme Mubi en France avant une sortie en salle prévue le 27 octobre 2021. La cinéaste américaine réalise une œuvre merveilleuse de douceur, pourtant marquée par le sceau de la fatalité dans la conquête de l’Ouest.

Gourmande entreprise

Une vache dans l’Oregon. Cela peut paraître anodin aujourd’hui, mais au début du XIXᵉ siècle, cette créature laitière représente quelque chose de tout à fait exceptionnel, le signe que la vie comme sur le continent européen s’importe au fur et à mesure que les pionniers progressent et s’enrichissent sans scrupule pour la nature ni les peuples autochtones. Et si cette première vache est au cœur du film, ce drame qui se détourne de certains codes du western raconte avant tout une histoire d’amitié, essence de la nature humaine, comme le souligne l’épitaphe de William Blake. On découvre tout d’abord Cookie (John Magaro), un cuisiner en mission avec des chasseurs en quête de précieuses fourrures. Un homme proche de la nature, bienveillant, flegmatique, et qui ne dégage pas la brutalité des autres membres de son groupe, dans lequel grandit une véritable hostilité à son égard. En glanant à la nuit tombée, il rencontre King-Lu (Orion Lee), un immigré chinois en danger de mort suite à une altercation avec d’autres colons, des Russes. Avec la discrétion qui le caractérise, Cookie lui sauve la vie, et c’est plus tard que les deux hommes se retrouveront pour une affaire juteuse mais également périlleuse.

First Cow est une œuvre d’une placidité formidable. D’aucuns décrieront cette lenteur qui fait pourtant infuser les plans sublimes du chef opérateur Christopher Blauvelt – quatrième collaboration avec Reichardt –, cette nature qui paraît intacte mais où l’homme blanc à déjà commencé a faire des ravages. Tourné en numérique, ce film atteint des sommets de délicatesse, certes en utilisant des artifices en post-production, mais le résultat est splendide. A cette mise en scène soignée s’ajoute une bande originale rêveuse et enjouée de William Tyler. Communément, les crimes dans les westerns font parler la poudre avec des attaques de banque, de diligence, ou bien émanent d’une soif d’or, de vengeance ou de pouvoir. Ici, le larcin de Cookie et King-Lu nous ramène toujours à la nature, ils volent du lait à la vache du riche marchand local – campé par un Toby Jones parfait –, afin de cuisiner des gâteaux qui s’arrachent à prix croissants au centre du village. On ne peut que s’attendrir de cette démarche certes frauduleuse, mais qui pousse ces hommes dans une affaire qui leur permet de rêver d’un avenir serein ailleurs, en Californie. Et il y a quelque chose de prodigieux dans la façon de filmer les acteurs et figurants dégustant les gâteaux, ces visage émerveillés qui redécouvrent des sensations leur rappelant le Vieux Continent et leur enfance.

Cette adaptation d’un roman de Jonathan Raymond, The Half-Life, se passe donc des poncifs du western, gardant la violence hors-champ – lorsqu’une baston débute dans un bar, ni les protagonistes, ni la caméra iront en voir l’issue –, et pourtant, la violence propre à cette période irrigue tout le film. Les deux compères risquent leur vie à voler le lait, et même la triste condition des Améridiens se manifeste au travers de cette domination actée des colons. On invite par courtoisie un chef pour le thé tandis qu’un autre individu est réduit au travail de domestique. ; on évoque aussi sans sourciller le massacre de castors pour fabriquer des chapeaux. Kelly Reichardt filme un monde qui se transforme en profondeur de la main enragée des colons. D’une pureté rare, First Cow raconte une histoire simple d’un autre temps. Une œuvre à la fois méditative et saisissante, de la trempe des modestes miracles cinématographiques.

4.5 étoiles

 

First Cow

Film américain
Réalisatrice : Kelly Reichardt
Avec : John Magaro, Orion Lee, Ewen Bremmer, Toby Jones, Jared Kasowski, Scott Shepherd, Gary Farmer
Scénario de : Kelly Reichardt, Jonathan Raymond
Durée : 122 min
Genre : Drame, Western
Date de sortie en France : 9 juillet 2021 sur Mubi France / 20 octobre 2021 en salle
Distributeur : Condor Distribution

 

Photos du film Copyright Allyson Riggs / A24

Article rédigé par Dom

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