Critique : Effacer l’historique

Benoît Delépine et Gustave Kervern se penchent sur les travers des nouvelles technologies dans une France post-gilets jaunes qui se trimballe une sacrée gueule de bois. Des gueules, en voilà des nouvelles dans le cinéma de ce duo de cinéastes puisque ce sont Blanche Gardin, Corinne Masiero et Denis Podalydès (de la Comédie-Française) qui se retrouvent à errer dans cette société détraquée, délicieusement absurde, mais toujours dotée de ce zeste de poésie rurale.

Dark side of the web

Dans cette comédie récompensée de l’Ours d’Argent du 70ème anniversaire de la Berlinale, on découvre tout d’abord Marie (Blanche Gardin), affectée par un terrible mal de dos, retournant à son pavillon dans une zone résidentielle quelque part dans les Hauts-de-France. Des douleurs provoquées par une latte défaillante de son lit électrique ou bien les signes d’un corps qui a souffert durant des dizaines de manifestation où la police tabassait et mutilait à cœur joie ? Car avec Christine (Corinne Maserio) et Bertrand (Denis Podalydès), ces trois français ordinaires qui ne demandent qu’un peu d’amour et de quoi vivre se sont rencontrés sur un rond-point, lorsque ces échangeurs circulaires jalonnant le territoire français étaient devenus d’inattendus lieux de lutte sociale, de représentation mais aussi de rencontres et de solidarité. Une solidarité qui s’avérera indispensable pour résoudre leurs problèmes individuels, tous liés aux géants du web et autres entreprises d’uberisation. Marie, lors d’une soirée arrosée a couché avec un inconnu (interprété par Vincent Lacoste) qui a filmé leurs ébats, et menace de jeter la vidéo sur la toile : une vision insupportable pour cette mère d’un adolescent. Pour Bertrand, l’affaire concerne sa fille, avec une vidéo embarrassante traînant sur les serveurs de Facebook, qui n’a que faire de ses lettres recommandées. Quant à Christine, ce sont ses notes catastrophiques en tant que chauffeur privée qui lui plombent ses perspectives de travail, coincée dans une spirale infernale d’évaluations bloquant sa moyenne.

Bien que Effacer l’historique aurait gagné à éliminer ça et là quelques minutes pour se montrer plus court et peut-être plus dynamique – une donnée qui serait alors en contradiction avec les habitudes de la maison, le cinéma de Delépine/Kervern infusant lentement –, cette comédie se montre tout à fait savoureuse, notamment en ne s’imposant aucune limite dans sa triple quête où de nombreuses figures qui ont fait la richesse de cette filmographie grinçante et révoltée interviennent pour des séquences parfois géniales. On retiendra notamment les passages de Benoît Poelvoorde et de Philippe Rebbot – une première collaboration qui donne envie –, montrant chacun des situations qui tiennent d’une véritable forme de dégénérescence sociétale. Il y a ceux qui abusent du système en grande pompe et ceux qui sont usés par le système, à en craindre un grand coup de pompe direction Pôle emploi. Dans cette odyssée des petits citoyens français contre les géantes sociétés américaines, les réalisateurs s’amusent du démarchage téléphonique, des sites de vente ou encore du torrent de séries trusté par les nouveaux acteurs du milieu : leur loupe s’attache à magnifier à outrance notre quotidien, sans pour autant adopter de posture moralisatrice. Il faut rire de l’inéluctable, d’autant plus que les plus grands dangers que nous sommes capables d’engendrer pour notre futur ne sont pas encore effectifs.

Toujours soucieux de montrer un autre monde, Effacer l’historique nous conduit lors d’une séquence sur un autre mode de consommation lorsque Bertrand se rend à un maraîchage des Amis de la Terre pour comprendre des impayés. Une consommation plus saine et responsable qui se montre sans nul doute plus forte aujourd’hui qu’il y a une dizaine d’années, où les supermarchés et zones industrielles marquaient profondément les cadres de films comme Le Grand soir ou Mammuth. Bien qu’un brin pessimiste quant à notre avenir, avec ces mésaventures où l’humour ne touche pas systématiquement le mille mais se déploie joyeusement sous toutes ses formes, Delépine et Kervern nous offrent une belle bulle d’oxygène dans un monde intoxiqué par ses propres outils technologiques, outils qui n’ont pas encore enterré le fameux proverbe « l’union fait la force ».

3.5 étoiles

 

Effacer l’historique

Film français, belge
Réalisateurs : Benoît Delépine, Gustave Kervern
Avec : Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero, Vincent Lacoste, Bouli Lanners, Benoît Poelvoorde, Philippe Rebbot, Vincent Dedienne, Michel Houellebecq
Scénario de : Benoît Delépine, Gustave Kervern
Durée : 110 min
Genre : Comédie
Date de sortie en France : 26 août 2020
Distributeur : Ad Vitam

 

Article rédigé par Dom

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