Cannes 2019 : films explosifs

Première grande journée de festival avec trois films explosifs : Le Daim de Quentin Dupieux, Les Misérables de Ladj Ly et Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles. En photo ci-dessus, Adèle Haenel, Jean Dujardin et Quentin Dupieux.

Quentin Dupieux ouvre la Quinzaine des réalisateurs avec son nouveau long métrage tourné en France : Le Daim. On aurait aimé assister à la séance du soir, précédé par la remise du carrosse d’or au maître de l’horreur John Carpenter, mais cela impliquait le sacrifice de deux films de la compétition… Tout est question de choix et de sacrifices dans ce festival.

C’est en affrontant une jolie pluie matinale que nous rejoignons le Théâtre croisette de l’hôtel Marriott afin de découvrir cette histoire délicieusement absurde. D’ailleurs, je n’irai pas très loin dans l’intrigue du film afin de ne rien gâcher. Jean Dujardin est Georges, un quadra plaqué par sa femme qui fait l’acquisition d’un blouson en daim d’occasion. Lors de cet achat déjà délirant par le mode opératoire presque surréaliste que chérit Dupieux, le propriétaire du blouson offre également en bonus un petit caméscope numérique. Georges, fier de son « style de malade » commence alors à filmer son blouson et la montagne environnante depuis l’hôtel perdu où il a élu domicile. Il fait rapidement la rencontre d’une barmaid, Denise (Adèle Haenel), qui rêve de devenir monteuse en cinéma. Georges se présente en réalisateur et ce mensonge marque le début d’une relation gouvernée par la folie de l’homme au blouson en daim. Un dialogue s’installe entre Georges et son blouson et une mission se présente… Avec Le Daim, Quentin Dupieux livre une œuvre dingue et jouissive, portée par un amour de l’absurde et du cinéma. D’une fluidité remarquable, ce film réunit les qualités d’un Rubber et celles d’un Réalité en s’affranchissant de leurs points négatifs. C’est peut-être le film de la maturité, et peut-être aussi le plus marquant. Une évolution qui s’explique en partie grâce à Adèle Haenel : à l’issue du film, la comédienne était présente avec Jean Dujardin et Quentin Dupieux pour évoquer la genèse du film ainsi que leur collaboration. A l’origine, elle n’était pas intéressée pour jouer une simple serveuse dans ce film dont le scénario a évolué grâce à ses exigences et ses idées. Un film que Dupieux comptait réaliser à nouveau dans un désert américain mais faute de financement, il s’est rabattu sur la France, sans plus de succès, et c’est l’intérêt de Dujardin pour le rôle, où il excelle, qui aura permis de mettre la machine en route. Un film moins débrouille que certaines œuvres de Dupieux puisqu’il a été produit avec 3 millions d’euros pour 5 semaines intenses de tournage. 

Le Daim, c’est bien

Dujardin nous a donc présenté son style de malade – photo ci-dessus -, vous remarquerez aussi les baskets en daim du cinéaste. Une séance réjouissante pour une œuvre qui constitue une grande réussite, un vrai régal ! En salle le 19 juin.

Bill est orange

De retour du côté du palais, on tente de s’approcher du casting du film de Jim Jarmusch lors de leur conférence de presse si convoitée : un Bill Murray lunaire a fait un drôle de numéro au photocall, tandis que la déception se lit sur le visage de celles et ceux qui attendaient Adam Driver : l’acteur américain semble déjà reparti vers d’autres galaxies. Tilda Swinton, Chloë Sevigny et Jim Jarmusch se montrent plutôt disponibles. Interrogé sur la dimension politique de son film par une chaîne, le cinéaste répondra qu’il n’y en a pas dans The Dead don’t die avant de conclure par « Fuck politics. »

Pour s’assurer d’entrer avec une bonne place en salle Debussy, je prends la lourde décision d’attendre 1H40 dans la file presse jaune pour découvrir Les Misérables de Ladj Ly. Malgré cette vaillante résolution, notre file est autorisée à entrer à une poignée de minutes du lancement du film : c’est donc dans une salle plongée dans le noir que nous gagnons prudemment le balcon, pour que le défilé des journalistes les moins bien lotis continue plus de cinq minutes après le lancement du film… Misère !

Malgré cet accroc, on entre tout de suite dans le premier long métrage de Ladj Ly, issu du collectif Kourtrajmé : été 2018, la France est championne du monde, on ne parle que de Mbappé, une joie folle s’est emparée du pays, mais ce n’est pas pour autant qu’une unité de la BAC du 93 peut se reposer sur leurs lauriers. On découvre une unité patrouillant à Montfermeil – lien avec Victor Hugo donnant le titre du film – au travers d’un regard neuf, celui de Stéphane (Damien Bonnaire). Son supérieur au sang chaud mais connaissant parfaitement la population du quartier, Chris (Alexis Manenti), ainsi que Gwada (Djebril Didier Zonga), né dans ces zones abandonnées par le gouvernement, nous ouvrent les portes d’un univers urbain où les plus jeunes sont livrés à eux-mêmes, où les adultes font leurs petits trafics, quand certains sont repentis après un séjour en prison ou bien en pleine dévotion à l’Islam. Le film est d’emblée prenant par son style, alternant avec souplesse entre des plans sur le vif en caméra épaule et des séquences plus amples, au steadicam ou au drone : un drone diégétique aura d’ailleurs un rôle clé dans cette oeuvre percutante. Lors de l’interpellation d’un enfant suite à un vol, Gwada perd son sang-froid et tire au flash ball dans le visage du petit Issa, qu’il blesse gravement. L’action est filmée par un enfant avec son drone, des images des plus compromettantes pour les forces de l’ordre. Stéphane souhaite conduire le garçon aux urgences, une option inconcevable pour ses collègues. Débute alors une course effrénée qui agitera tout un quartier jusqu’à une colère explosive. Avec l’élément brûlant des violences policières, à renfort de bavure au flash ball, Les Misérables sonde bien plus que les maux de la banlieue parisienne : le film embrasse la fracture sociale sans placer ses protagonistes, civils ou flics, sur le banc des accusés. Avec son rythme ahurissant, son réalisme, son ironie et sa violence, Les Misérables se place en œuvre sociale et politique puissante. La compétition ne fait que commencer mais on imagine déjà ce long métrage au palmarès, peut-être le prix du jury comme il fut décroché par Maïwenn, dans un autre style, avec Polisse ?

Le film reçoit de belles salves d’applaudissements – chose loin d’être systématique en séance réservée à la presse – et un véritable enthousiasme est partagé dans les couloirs du palais ainsi que sur la nouvelle terrasse presse – là où se situait feu la Villa Schweppes. Mais élément nouveau, nous ne pouvons rien dire sur le film avant l’issue de la projection de gala débutant à 18h30. Malgré l’embargo, le site de Variety publie leur critique dès le générique de fin de la projection dédiée aux journalistes.

L’équipe de Bacurau

La foule est là, au palais, autour des salles, sur la croisette. Même le soleil a décidé d’éclairer les choses, avant de s’éclipser pour un week-end pluvieux, voire orageux. En attendant, grâce à Mister F, je vois ma soirée se soulager d’une longue file d’attente, ce n’est pas en salle Debussy que je découvrirai Bacurau mais en séance de gala au Grand Théâtre Lumière, avec l’équipe du film. Première montée des marches, à faufiler entre un contingent de robes de soirée de festivalières sur leur 31, ou de starlettes alimentant leur book photo : si certaines personnes passent par le tapis sans gagner leur place, et donc, sans priver de festivalier d’un siège puisque les équipes du festival s’assurent du remplissage avant le lancement du film, je suis surpris de voir quatre jeunes femmes quitter leur place en corbeille – un luxe – juste après l’arrivée de l’équipe dans la salle. La vanité cannoise la plus basse…

Film brésilien de la compétition, Bacurau est une co-réalisation pour Kleber Mendonça Filho avec Juliano Dornelles, collaborateur qui oeuvrait comme chef décorateur sur ses précédents films, les sublimes Aquarius et Les Bruits de Recife. Il est très difficile d’évoquer clairement Bacurau si ce n’est au travers de l’effroi qu’il provoque : l’action se passe dans une communauté vivant de façon autarcique, quelque part au centre ou au nord du Brésil, communauté privée d’eau par un politicien qui cherche leurs faveurs à l’approche des élections. Le village de Bacurau est observé par un drône « camouflé » comme une soucoupe volante : des américains les observent et préparent une attaque à leur encontre, enfin, le mot est faible, ils préparent un véritable massacre. A leur tête, un homme immonde campé par Udo Kier. Déroutant par son introduction baroque, qui fait un peu penser à Kusturica mais sans son ivresse ni son aisance pour présenter un groupe, une tribu, Bacurau surprend d’autant plus par l’ultra violence qui l’envahit. Une ultra violence inattendue chez le cinéaste brésilien qui a visiblement souhaité conjuguer réalité quasi documentaire au cinéma de genre, un peu à la façon de Ciro Guerra pour Les Oiseaux de passage mais sans tout à fait se situer sur la frontière de ces deux mondes. Ce brûlot politique mériterait d’être vu une seconde fois avant de se forger un avis définitif, mais on peut saluer le geste, celui de mettre à l’écran des minorités, des personnes inconsidérées et indésirables. Il y a d’ailleurs un rôle très fort confié à une actrice transgenre : Silvero Pereira. Sous le choc, la salle applaudit grandement l’équipe, profondément émue, et Kleber Mendonça Filho saisit un micro – une nouveauté de cette édition, les cinéastes sont invités à prendre la parole à la fin de la projection. Ne parlant pas le portugais brésilien, je crois qu’il a dit que ce film était pour eux, les brésiliens, et qu’il fallait faire preuve de résistance. Doit-on préciser qu’un certain Jair se trouve dans le viseur précis de ce film ?

En cette deuxième journée, on ne court pas après les soirées : une belle nuit de repos avant de rendre visite à la Semaine de la Critique et de continuer la compétition, notamment avec Atlantique de Mati Diop.

Article rédigé par Dom

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