Critique : Aquarius

Parmi les films magnifiques passés inaperçus au palmarès de Cannes 2016 se trouve Aquarius, le second long métrage du brésilien Kleber Mendonça Filho. Une œuvre captivante, animée par une actrice merveilleuse, Sonia Braga.

Au fil de la vie

Il y a des œuvres qui procurent la grisante sensation d’avoir voyagé, un des pouvoirs fabuleux du cinéma. D’autres, l’impression d’avoir vécu, pas seulement une histoire mais d’avoir partagé la vie de quelqu’un ou d’un groupe. Aquarius tient de ces rares films qui procurent ces deux sensations, ces deux sentiments rarement réunis. Déjà avec le superbe Les Bruits de Recife, Kleber Mendonça Filho démontrait son aisance à saisir l’atmosphère d’un quartier, et même de conduire le spectateur vers des zones oniriques ou cauchemardesques. La même maîtrise est à l’oeuvre ici avec une nouvelle composante, celle du temps, et surtout, un personnage central, puisque le film est avant tout le portrait d’une femme, Clara (Sonia Braga). On la découvre en 1980, en voiture au bord de la plage avec des amis où la passionnée de musique, qui deviendra critique, lance un titre tout frais, Another one bites the dust de Queen. Queen que l’on retrouvera plus tard dans le film, à notre époque, alors que Clara est aussi devenue reine, reine d’un royaume désert : la résidence Aquarius, dont les appartements ont tous été rachetés, à l’exception du sien, par un promoteur immobilier qui compte raser l’édifice pour y construire une résidence moderne. Mais Clara refuse tout dialogue, toute proposition : son appartement, c’est une partie d’elle, de l’histoire de sa famille, et pour rien au monde elle ne quitterait ce cocon qui donne sur l’océan. Le bras de fer donne alors lieu à une confrontation mesquine et vicieuse. Loin de donner dans le « mamie fait de la résistance », Aquarius capte une ère de transition, et une des clés du film se trouve lorsque Clara est interviewée à son domicile par deux jeunes femmes, à propos de la musique. Si elle privilégie les vinyles, elle aime aussi les mp3, mais elle tente d’expliquer la différence essentielle entre les deux supports avec l’ultime album de John Lennon, Double Fantasy, qu’elle avait acheté d’occasion avec à l’intérieur une coupure de journal paru quelques jours avant l’assassinat de l’artiste. Les deux femmes ne comprennent pas le sens de l’anecdote, et pire encore, l’article mettra en exergue la déclaration « J’aime les mp3 » sous une photo durcissant les traits de « dona Clara. »

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Aquarius évoque la transmission d’un point de vue spirituel et matériel, mais pour ce second point, sans toucher au matérialisme dans sa connotation négative. Dans l’introduction du premier chapitre du film, il y a l’anniversaire des 70 ans de la tante Lucie, où l’on apprend également le cancer vaincu par Clara. Au cours de la soirée, le regard de Lucie se porte sur une commode qui lui ravive des souvenirs de sa jeunesse, d’un homme qu’elle a connu et leur passion amoureuse. Plus tard dans le film, lorsque la caméra se porte sur cette commode, il y a comme une vague qui nous submerge, l’histoire de Lucie, dont on connaît si peu de chose, mais aussi tout ce qui a pu survenir dans la vie de Clara entre 1980 et aujourd’hui, le départ des enfants, le décès de son mari, … Un objet chargé d’histoire, comme les vinyles et les murs d’Aquarius. Avec sa douceur pour saisir le quotidien, Kleber Mendonça Filho dresse le portrait atypique d’une senior épanouie : parfaitement valide, fréquentant des personnes de tous les âges, mais aussi n’ayant pas refermé la porte de sa vie sexuelle. Sonia Braga illumine chaque plan par sa vitalité, son regard serein, sa beauté, et cette classe qu’elle conserve face aux coups bas des promoteurs de Bonfim, même lorsqu’elle doit s’emporter verbalement. On pourrait rester assis des heures durant face à cette chronique qui brasse les choses de la vie avec un équilibre particulièrement fin, car Aquarius est une œuvre ni trop sombre, ni trop claire, et ce, malgré la menace qu’alimente le bras de fer entre Clara et Bonfim.

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Entre l’ode à la résistance et la célébration de la vie de femme, Aquarius se positionne comme une œuvre riche, particulièrement belle. On y est bercé par sa bande originale comme par le bruit des vagues à quelques pas de la fenêtre de Clara. Et malgré quelques mauvaises âmes, le film donne foi en l’humanité, pour peu que l’on s’intéresse un minimum à tout un chacun. Des valeurs indispensables dans un monde où l’économie écrase tout, l’histoire, la spiritualité et même l’humanité.

4 étoiles

 

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Aquarius

Film brésilien, français
Réalisateur : Kleber Mendonça Filho
Avec : Sonia Braga, Maeve Jinkings, Irandhir Santos, Humberto Carrão, Zoraide Coleto
Scénario de : Kleber Mendonça Filho
Durée : 122 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 28 septembre 2016
Distributeur : SBS Distribution

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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