[Critique] Her, réalisé par Spike Jonze

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Film d’anticipation qui entrevoit l’amour 2.0, Her est le premier long métrage qu’écrit Spike Jonze. Une première qui lui vaut l’Oscar du meilleur scénario pour une œuvre fondamentalement passionnante avec une composition touchante de Joaquin Phoenix.

Amour désincarné

Dans un futur proche, qui néglige les progrès en matière de robotique, l’homme s’est un peu plus refermé sur lui-même à cause des dernières prouesses en matière d’informatique et de communication. Grâce à une simple oreillette, il est possible de dialoguer avec son ordinateur qui lit nos emails ou peut nous mettre en relation sur un tchat vocal. L’isolement en milieu urbain, dans la rue ou les transports en commun est total. C’est dans ce monde humainement maussade que se déroule Her, où l’on suit Theodore (Joaquin Phoenix), dont le métier consiste à écrire des fausse lettres manuscrites pour des personnes qui ne prennent plus le temps de s’écrire – de couples, des enfants à leurs parents ou grands-parents. Toujours sous le choc de la séparation avec sa femme Catherine (Rooney Mara) l’an passé et avec laquelle il n’a pas encore divorcé, Theodore mène une existence monotone où le métro-boulot-dodo n’est entrecoupé que par des sessions de jeu vidéo et de dialogue à distance avec des femmes aux désirs parfois douteux. La sortie d’un nouveau système d’exploitation, tout simplement baptisé OS 1 (venant de l’anglais operating system) va radicalement changer sa vie affective. Ce système d’exploitation intelligent et évolutif demande seulement trois choses à l’installation : est-on solitaire ou sociable, quelle est notre relation avec notre mère et finalement le choix d’une voix, féminine ou masculine. C’est bien entendu une femme que choisira Theodore, cette dernière se baptisera Samantha – Scarlett Johansson lui prête sa voix.

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Naturellement, la collaboration entre Spike Jonze et Charlie Kaufman – sur Dans la peau de John Malkovich et Adaptation – a affecté l’écriture de ce film où l’on retrouve des réflexions décalées mais non dénuée d’intelligence – sans atteindre cela dit le stade métaphysique et l’imbrication chers à Kaufman. La démarche de Jonze s’inscrit dans un mouvement proche d’un cinéaste qui lui est pourtant très éloigné : Harmony Korine. Tout comme dans Spring Breakers, le spectateur baigne dans un univers sans aucun recul critique. Une critique qui se dessine alors en arrière-plan, au travers des agissements des personnages. Dans Her, Jonze nous accroche à Theodore, filmé majoritairement en gros plan. En plus de créer une connexion très intime avec le protagoniste, cette volonté de mise en scène finit par nous détacher de la réalité – et de la réalité d’un univers qui n’est pas le nôtre d’ailleurs, du moins, pas encore. Le trouble se niche dans la relation que va développer Theodore avec Samantha : il en tombe amoureux, et cette dernière tombe aussi sous le charme de son possesseur. Voilà où réside en partie la complexité de cette romance futuriste, où l’être aimé n’est plus un être – ni une machine ou une poupée gonflable comme certains cinéastes l’on fait auparavant, de Blade Runner à Air Doll – mais une intelligence artificielle purement abstraite, ne s’approchant de nous que par la voix. Choix judicieux de Spike Jonze d’éviter l’archétype du personnage solitaire, introverti, qui trouverait le Graal dans cette relation surprenante et inattendue. Non, Theodore et Samantha doivent aussi s’exposer au milieu social restreint dans lequel évolue l’écrivain : sur son lieu de travail, avec un couple d’ami et même avec son ex qu’il doit revoir pour le divorce.

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Bien que le faux duo Scarlett Johansson/Joaquin Phoenix fonctionne à merveille, Her rencontre de nombreux moments de flottement, installé dans l’appartement cosy et technologique du protagoniste. De même que la collaboration entre le groupe Arcade Fire et Spike Jonze s’avère un peu décevante – ou peut-être qu’il était difficile de passer après Karen O, qui offre un titre ici, et sa bande originale fabuleuse pour Max et les maximonstres ? C’est parfois au travers de détails que le film brille, comme lorsque sur la plage, Samantha remet en question avec humour la morphologie humaine. Car bien que Samantha ne peut-être vue, elle peut voir le monde extérieur au travers d’un appareil doté d’un caméra que transporte Theodore dans la poche de sa chemise. Souvent émouvant en s’accrochant aux vestiges de l’ancien couple de Theodore, Her saisit la quintessence des relations sentimentales grâce au singulier point de vue que confère cette autre relation, à mi-chemin entre le monde virtuel et la réalité, dans un espace insaisissable. Le film provoque même une réévaluation de la solitude : est-ce que l’on peut considérer qu’un homme comme Theodore partage son existence avec quelqu’un ? Comment considérer cette problématique à l’aune de l’épanouissement du protagoniste ? Avec un tel concept, les écueils étaient à attendre dans les derniers chapitres, mais là encore, Spike Jonze fait preuve de finesse et d’originalité, évitant toute pirouette frustrante. Si Her souffre parfois de la désincarnation qu’il dénonce en filigrane, trop proche et peut-être au fond, amoureux de son triste sujet, il est difficile de ne pas se passionner pour les réflexions et problématiques que soulèvent ce spleen d’anticipation, insolite et touchant, et qui gagnera certainement ses lettres de noblesse avec le temps.

4 étoiles

 

Her

her-afficheFilm américain
Réalisateur : Spike Jonze
Avec : Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams, Rooney Mara, Olivia Wilde, Chris Pratt, Matt Letscher
Scénario de :
Durée : 126 min
Genre : Drame, Romance, Science-fiction
Date de sortie en France : 19 mars 2014
Distributeur : Wild Bunch Distribution

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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Un commentaire

  1. J’ai beaucoup entendu parler de ce film et je pense que je vais le voir un de ces 4 car il est d’actualité de nos jours avec les chatbots et le conversationnel dont on nous parle ici et là comme le futur du web mobile ! L’intelligence artificielle, ou sa simulation, a de beaux jours devant elle !

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