[Critique] Pieta (Kim Ki-duk)

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Avec Pieta, Kim Ki-duk obtient son premier Lion d’Or au Festival de Venise 2012. Une œuvre d’une noirceur terrible, marquée par une violence parfois insoutenable, où se croisent les thèmes favoris du cinéaste sud-coréen.

Le cœur du monstre

D’aucuns critiquent fortement la démarche de Kim Ki-duk renouant avec un récit marqué par la vengeance et la recherche de la rédemption. Certes, ces éléments n’ont rien d’original chez le cinéaste coréen, mais s’en arrêter à cela serait omettre toute la force (et les faiblesses) de Pieta. Les faiblesses, tout d’abord : la photographie rarement soignée de ce film tourné rapidement, avec deux Canon 5D MKII – Kim Ki-duk assurant le cadre en parallèle de son chef opérateur Jo Young-Jik. Les plans larges, peu nombreux, sont particulièrement ratés sur le plan esthétique. L’absence de véritables mouvements de caméras – tout le film est tourné caméra au poing – confère à la mise en scène une fébrilité touchant à l’indigence pure. Difficile de soutenir le réalisateur dans certains choix, comme lors de cette scène où un homme est giflé devant sa mère par Kang-do (Lee Jung-Jin), Ki-duk utilisant une « fausse » caméra subjective où le cadre reçoit les coups tout en observant la personne âgée – alors que la victime regarde son agresseur ! Pour le reste, Pieta dresse un solide et déprimant portrait d’une Corée littéralement mutilée par le capitalisme. Le spectateur suit Kang-do, collecteur de dettes dans un quartier où les petits artisans ne peuvent plus vivre de leur travail. Pour récupérer de l’argent pour les créanciers, le sinistre et détestable Kang-do emploie une méthode radicale, simulation d’accident menant à l’handicap afin de toucher l’assurance. Bien qu’elle soit toujours hors-champ, la barbarie du film s’avère ignoble, parfois à la limite du supportable, car Kim Ki-duk l’a bien compris, le pouvoir de suggestion est bien plus efficace que n’importe quel gros plan sadique. L’horreur se répand donc au travers du son d’une mutilation, se matérialisant avant l’acte, quelque part entre le visage impassible du bourreau et celui de la victime terrorisée.

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Dans ce contexte épouvantable émerge rapidement un visage angélique, presque salvateur, celui de l’actrice Jo Min-soo qui apparaît telle une sainte dans une ruelle. L’inquiétude non dénuée de grâce de cette femme crée une rupture, soutenue par sa tenue, aux vives couleurs vertes et rouges, perçant ce voile grisâtre et froid caractérisant le film. Cette femme, qui va désormais suivre Kang-do dans sa routine monstrueuse se présente comme sa mère. C’est elle, la Pieta, vierge de piété venant à la rencontre de son fils, à l’opposé de toute image christique, véritable apôtre du mal. Enfin l’ignoble protagoniste se dévoile quelque peu, être solitaire abandonné dès son plus jeune âge par sa mère. Excuser la monstruosité par l’absence d’amour maternelle est une facilité dans laquelle ne sombre pas Kim Ki-duk, bien au contraire, il use de lieux communs pour mieux tromper le spectateur, détourner les faisceaux lumineux vers de plus grandes ténèbres. Car les éclaircies d’humanité ne sont que des leurres dans cet univers sans horizon : Pieta est enclavé dans une misère mourante – le quartier dans lequel se déroule le film doit être rasé –, ne laissant aucune échappatoire à ses habitants. Lorsque les personnages prennent de la hauteur, gagnant un champ de vision qui n’est pas obstrué par la taule et les murs délabrés, c’est avec une forte amertume, ou plus souvent, pour embrasser la fatalité.

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Une certaine naïveté habite le message de Kim Ki-duk, attribuant à l’argent tous les maux du monde, mais ce constat désabusé d’un cinéaste accablé par la peine ne peut que toucher. Alors que Pieta pourrait facilement virer au thriller machiavélique, le film ne s’éloigne jamais des troubles et démons de ses protagonistes au profit d’une mécanique cruelle. Pur fruit du tragique, cette œuvre porte un souffle funeste, atroce et parfois déchirant. Broyant des hommes autant qu’il broie du noir, Kim Ki-duk n’envisage dans l’expiation qu’une nouvelle aube sur les terres de la désolation. Frappante morosité.

3.5 étoiles

 

Pieta

pieta-kim-ki-dukFilm sud-coréen
Réalisateur : Kim Ki-duk
Avec : Lee Jung-Jin, Jo Min-soo, Woo Ki-Hong, Kang Eun-jin
Scénario de : Kim Ki-duk
Durée : 104 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 10 avril 2013
Distributeur : Pretty Pictures
Film interdit aux moins de 12 ans


Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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