[Critique] Spring Breakers (Harmony Korine)

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Harmony Korine s’offre les feux de la rampe grâce à un casting hétéroclite et inattendu. James Franco qui la joue gangsta avec des égéries Disney qui se trémoussent en bikinis, c’est Spring Breakers, une œuvre singulière, visuellement épatante, dessinant un amer portrait de la jeunesse américaine.

Orgie initiatique

Sous un soleil de plomb, les corps s’exhibent, reluisent, frétillent avec le dubstep électro de Skrillex. Les maillots de bains provoquent une explosion de couleurs fluorescentes tandis que l’alcool coule à flot sur des visages extatiques et des poitrines agitées comme des offrandes. Les bongs sont portés au ciel comme l’étendard d’une débauche banalisée et vénérée par une classe étudiante assoiffée de concupiscence. Spring Break. Stop. Avant le nirvana, Brit, Cody, Faith et Candy sont coincées à la fac, et il convient de revenir sur l’homme aux commandes de ce film qui n’a rien d’une teuf fun et délurée à la Projet X. Un pied dans le cinéma dès la vingtaine en co-signant le scénario de Kids de Larry Clark, Harmony Korine passe rapidement à la réalisation et signe une œuvre aussi géniale que troublante avec Gummo. Dès lors, il deviendra le chantre d’une jeunesse paumée et d’une galerie de freaks et white trash en tout genre, de Mister Lonely à l’extrême Trash Humpers en 2009, retour à un cinéma des plus libres, courtisant l’expérimental. Mais Korine ne connaît ni la provocation pure, ni l’exhibitionnisme primaire, ses personnages, il les aime et embrasse leur détresse avec une sincère humanité. D’une série de courts métrages à une collaboration avec Die Antwoord – groupe qui pourrait être le fruit de son imagination –, rien ne laissait présager l’arrivée de ce Spring Breakers, marquant une nouvelle étape dans sa filmographie. Mélangeant un casting d’acteurs professionnels et amateurs, jouant avec l’image de ses actrices, le film est le premier à présenter des protagonistes conforment à une certaine normalité : ces jeunes filles sexy ne sont rien d’autres que le reflet d’une jeunesse américaine biberonnée à MTV. Même le gangster des plages campé par Franco répond à l’archétype du dealer suprême, mais le génie de Korine est à l’œuvre bien avant la rencontre de ce personnage.

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Réalisateur à l’approche plus spirituelle et sensitive qu’intellectuelle de son cinéma – ce qui ne prive pas ses œuvres de véhiculer de nombreux messages –, Harmony Korine avoue composer ses films comme un chimiste concocterait de la drogue. Ainsi, la première demie-heure de Spring Breakers agit comme un trip sensoriel et déviant, où de jeunes actrices à l’image si propre et lisse éclate en quelques instants. La simulation d’une fellation en plein cours, la coke, la marijuana et les poses lascives propulsent Selena Gomez, Ashley Benson et Vanessa Hudgens sur un terrain aussi imprévu qu’excitant – avouons-le, sans s’aventurer sur toute pulsion sexuelle, qui ne rêve pas (secrètement) de révéler le côté obscur de toutes les personnalités angéliques ? On imagine facilement Rachel Korine, la jeune épouse du réalisateur habituée à jouer dans ses films, s’intégrer au groupe pour les entraîner avec plus d’entrain dans cette aventure vicieuse. Grâce à ces jeunes filles « normales », issues d’une bourgade triviale, Spring Breakers dresse un virulent et acidulé portrait d’une jeunesse en dégénérescence, produit d’une pop culture dont elle reproduit les motifs les plus nocifs, à défaut de trouver une voie dans la vie s’ouvrant à elle. Si Madonna s’apparentait plus à un gimmick dans Gummo, l’exploitation de morceaux de Britney Spears ici est plus qu’éloquente. Pour les quatre minettes, le financement du spring break, échappatoire à un quotidien plat et terne, passe par un braquage à main armée – relatif, mais la violence déployée est belle et bien présente –, brillamment mis en scène. Le sea, sex and sun tourne au sex, guns and drugs, cristallisé dans un plan où l’une des jeunes filles alimente un pistolet à eau en alcool pour simuler des éjaculations sur son propre visage.

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Univers phallique régit par le dollar tout puissant, la montée du shoot Spring Breakers se déroule avec une fluidité remarquable, dans un montage qui n’exclut rien des collages vidéos chéris par Korine, rythmé par des morceaux composés par Skrillex et Cliff Martinez – dans la veine de Drive. Le spectateur sillonne une vallée de fesses rebondies et de lignes de coke dans un cadre particulièrement rutilant, au grain renforçant l’aspect charnel du film. C’est l’œuvre de Benoît Debie, à qui l’on doit notamment la photographie du grand Enter the void de Gaspar Noé, peu éloigné visuellement de ce long métrage qui affiche une bipolarité risquée mais particulièrement intelligente. Après le trip, une âpre réalité s’empare du film en compagnie d’Alien, le dealer joué par James Franco. Les lumières fluorescentes se montrent alors plus rares, comme l’horizon reluisant de l’océan, écarté vers les ténèbres pour laisser place à l’eau stagnante et chlorée d’une piscine. La foi provoque la première implosion du groupe de filles, que chaque actrice habite littéralement. Leurs personnages licencieux n’ont pourtant jamais réellement quitté l’enfance ni le cocon familial, renforçant le malaise et soutenant le discours principal du long métrage. On s’inscrit dans une mouvance proche du récent Killer Joe de William Friedkin. Spring break, mirage d’un bonheur pour toute une génération flinguée par la fiction et la télévision. « On se croirait dans un putain de film » clament-elles. Alien, lui, épouse tous les clichés du gangster, idolâtrant le Scarface de Brian De Palma, agonisant dans un matérialisme sans fin. Bien que le second et long segment du film semble voguer d’une errance l’autre, il dénote l’audace de Korine qui ne relâche rien de la dépravation de ses héroïnes les plus téméraires. Plus scénarisée que le reste du film, et malgré le talent de Franco dans un rôle peu évident, c’est dans la confrontation entre gangsters locaux que la force narrative (et sensorielle) se dilue. Korine s’aventure dans un milieu dont il ne saisit pas tous les codes, allant jusqu’à diminuer l’impact de son final. Pourtant, les quelques lacunes de Spring Breakers ne ternissent pas cette hallucination syncopée, ponctuée d’un bout à l’autre par le claquement métallique d’une arme que l’on charge. Korine tire sur l’alléchant rite du spring break pour détruire un mythe adolescent et confronter la jeunesse aux démons qui l’ont élevée. Un trip unique, délicieux dans son mouvement de subversion qui surprendra tous les spectateurs y mettant le nez, pour une raison ou une autre.

4.5 étoiles

 

Spring Breakers

spring-breakers-afficheFilm américain
Réalisateur : Harmony Korine
Avec : James Franco, Vanessa Hudgens, Ashley Benson, Selena Gomez, Rachel Korine
Scénario de : Harmony Korine
Durée : 92 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 6 mars 2013
Distributeur : Mars Distribution


Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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3 commentaires

  1. Bonjour,

    Ta critique de spring breakers ma donnée envie de voir le film j’ai hâte qu’il sorte.

  2. Ce film est un peu conçu à l’image d’un immense clip. Il sait parfaitement s’appuyer sur les code des chaines musicales MTV pour mieux retranscrire le monde adolescent et ses difficultés. Mon seul regret est d’avoir vu ce film en VF. Même si je me doute que Franco surjoue volontairement son personnage, son doublage en devient caricatural et nuit un peu à l’ambiance mis en scène Par Harmony Korine.
    Merci pour ta critique qui retranscrit bien l’image de ce film atypique.

  3. Pingback :Critique : How to have sex - Silence... Action !

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