[Critique] Django Unchained (Quentin Tarantino)

Tarantino plonge enfin dans un genre qui a déjà habité certaines de ses œuvres, le western spaghetti. Baptisé Django Unchained, titre renvoyant directement au genre et au cinéma de Sergio Corbucci, le film apparaît comme le prolongement naturel du travail effectué sur Inglourious Basterds, au détail près que les défauts affectant ce dernier ont disparu. Un très grand cru.

Chaînes sentimentales

Inglourious Basterds marquait indéniablement un tournant dans la carrière de Quentin Tarantino, jouant pour la première fois avec l’Histoire et attribuant une importance capitale aux langues parlées par ses personnages. Malgré de nombreuses qualités, ce projet, initialement pensé comme une mini-série – le redécoupage du scénario aura été une des premières bévues –, tourné dans la précipitation pour être présenté au Festival de Cannes, apparaît comme une des œuvres les plus faibles de la filmographie de Tarantino, qui affichait une autosatisfaction assez désolante en guise de plan final. Django Unchained exploite à nouveau un cadre historique, celui de l’esclavagisme aux Etats-Unis, quelques années avant la guerre de Sécession, et reprend énormément d’idées de la relecture de la Seconde Guerre Mondiale tarantinesque, et plus encore, puisque ce nouveau long métrage se révèle comme un film somme, renvoyant à presque toutes les œuvres du réalisateur de Pulp Fiction. Toutefois, à aucun moment le film n’apparaît comme une bouillie de son propre cinéma, bien au contraire, puisque qu’il atteint une densité et une force rarement vues auparavant. Django, campé par un Jamie Foxx magistral, est un esclave libéré par un chasseur de primes, le Docteur Schultz, interprété par la révélation d’Inglourious Basterds, Christoph Waltz, génial hormis son cabotinage excessif dans les scènes d’ouverture. Originaire d’Allemagne, Schultz porte un regard critique sur l’esclavage mais libère Django à des fins personnelles et lucratives : il est capable de reconnaître pour lui trois hommes recherchés morts ou vifs. Débute alors une relation singulière qui mènera à une collaboration quasi fraternelle.

Si un humour hasardeux accable les premières minutes du film, aux références stylistiques très prononcées, à Sergio Leone, Corbucci et au cinéma d’exploitation, Quentin Tarantino redresse rapidement la barre pour emmener son récit sur des terrains surprenants de sa part mais aussi montrer, comme à l’accoutumé, qu’il manie les références formelles avec maestria, jamais dans la simple citation ni dans l’hommage révérencieux. La grande nouveauté dans ce récit est le rapport entre les deux personnages centraux, une collaboration marquée par une réelle amitié, et leur rapport au monde, provoquant l’animosité partout sur leur passage du fait qu’un blanc considère un noir comme son égal, ou presque. Une animosité frappant Django de plein fouet puisque ce n’est plus seulement le regard des blancs qui se montre empli de haine, mais aussi celui des autres esclaves noirs, voyant en lui un traître vis à vis de leur condition. Réputé, rarement en bien, pour placer de nombreuses vannes sur les niggers tout au long de son œuvre et en dehors des films, Tarantino, jouant plus que jamais sur les réflexions désobligeantes et blagues sur la population noire, devrait avec Django Unchained faire taire les mauvaises langues : cette odyssée violente prône, par le choc des couleurs et des statuts sociaux, l’égalité des peuples. Quelle intelligence lorsqu’il invoque Alexandre Dumas au cours d’un échange captivant entre Schultz et l’esclavagiste campé par Leonardo DiCaprio, héritant enfin d’un rôle de méchant, aussi classe que répugnant.

D’un point de vue purement esthétique, Django Unchained est sans nul doute le plus beau film de Tarantino. Robert Richardson, directeur de la photographie, sublime les acteurs dans des paysages magnifiques et décors épatants, émerveille avec des éclairages à la bougie, tout cela, complété par un travail minutieux sur les maquillages et costumes. On y retrouve également la musicalité grisante du cinéaste américain, dans les dialogues – bien que certains motifs tendent à devenir rébarbatifs – et dans la bande originale, toujours aussi hétéroclite et percutante, donnant une puissance folle à certaines séquences. Affichant une durée de 165 minutes, l’œuvre la plus longue se montre aussi comme la plus dense de la filmographie de Quentin Tarantino ; l’évolution du récit, simple mais passionnante, lui permet de jouer avec des atmosphères et situations toujours différentes, profitant également de cette tendance fantastique à positionner ses personnages comme des acteurs en fonction des circonstances. Ne dérogeant pas au rituel des accès de violence à tendance gore, Tarantino parvient à justifier brillamment les effusions de sang dans une première partie en se réfugiant derrière l’absurdité de la loi. Un élément inédit qui n’empêchera pas l’application du précepte « œil pour œil, dent pour dent » dont le réalisateur semble incapable de se défaire – mais tant pis, puisque chez Tarantino, l’attitude cool et le caractère jouissif passent par cette brutalité outrancière et assumée. Il démontre pourtant qu’il peut travailler une tension et un suspense bien plus saisissants que tout massacre lorsque le recours à la violence est impossible, jouant avec les nerfs de ses personnages devant alors briller par la ruse.

Chronique sur l’esclavage, épopée d’un être animé par la passion, aventure de chasseurs de primes, Django Unchained est surtout le récit d’un homme quittant sa servitude physique pour trouver de nouvelles chaînes, sentimentales : celles de l’amitié et d’un amour indéfectible. En dynamitant le carcan du western de sa patte virtuose, Quentin Tarantino se retrouve à nouveau au sommet.

4.5 étoiles

A voir aussi : les réactions en sortie de projection presse

 

Django Unchained

Film américain
Réalisateur : Quentin Tarantino
Avec : Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio, Samuel L. Jackson, Kerry Washington, Don Johnson, Laura Cayouette, Jonah Hill
Scénario de : Quentin Tarantino
Durée : 165 min
Genre : Western, Drame
Date de sortie en France : 16 janvier 2013
Distributeur : Sony Pictures Releasing France


Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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4 commentaires

  1. Cela semble foutrement bien, vivement.

  2. Quand la France revisitera t’elle l’esclavage de manière de manière honnête ( fuck Case départ) dans les antilles Française?…that is the question

  3. @Elodie : je n’ai pas vu « Case Départ ». En tout cas le cinéma américain abordera beaucoup le thème de l’esclavage cette année avec « Lincoln » de Steven Spielberg et « Twelve years a slave » de Steve McQueen.

  4. Excellentissime, de grands acteurs qui jouent juste, une vision de l’esclavagisme qui fait vraiment réfléchir, et un final Tarantinesque comme on les aiment!!

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