[Critique] César doit mourir (frères Taviani)

Quand Shakespeare est interprété par des détenus de la prison de Rebiddia, sous la direction de Paolo et Vittorio Taviani, cela donne une œuvre de fiction étrange, à la frontière du documentaire, tout en repoussant vigoureusement ce genre. Un film singulier, récompensé par le prix suprême à Berlin : l’Ours d’Or.

Jeu carcéral

Sur scène, Brutus s’effondre. César retrouve la scène pour l’aider à se relever, et les acteurs saluent le public sous les applaudissements. Seulement pour eux, il n’y aura pas de célébration dans les loges ni ailleurs car la pièce est jouée par des détenus, invités à regagner promptement leur morne cellule au terme de la représentation. Retour en arrière, six mois plus tôt, et passage au noir et blanc : un metteur en scène annonce que la future pièce à préparer est Jules César de Shakespeare – choisie par les frères Taviani –, le casting débute et découle sur la présentation des détenus/acteurs, nous informant sur leur peine et les délits commis, allant du trafic de drogue à l’homicide. Alors qu’aux premiers abords, les frères Taviani laissent supposer qu’ils filment les répétitions de la pièce au sein de la prison, il apparaît qu’ils sont en réalité en train de mettre en scène la pièce dans l’enceinte carcérale, à l’aide des détenus qui joueront plus tard sur les planches. Le principe aurait pu être fabuleux si seulement les cinéastes ne captaient pas par la même occasion des bribes de réalité apportées par les détenus au fil des dialogues, de leurs hésitations et révélations personnelles – tous ces éléments de l’ordre du réel, du non fictif, passent par le prisme de la fiction. Jouer avec les frontières de la fiction et de la réalité est un concept intéressant, mais elle réduit la puissance du sujet ici. Un élément important échappera aussi aux spectateurs non italophone : chaque détenu s’exprime dans le dialecte de sa région, ajoutant une couche de singularité à l’entreprise.

Un vrai trouble est provoqué par le refus du documentaire, qui pousse le vice jusqu’à l’intégration d’un détenu libéré en 2006, Salvator Striano, dans le rôle de Brutus. Devenu acteur depuis sa libération, Striano a joué dans Gomorra de Matteo Garrone, réalisateur qui a répété récemment l’emploi d’acteurs au casier judiciaire garni puisque le protagoniste de Reality, en salle depuis le 3 octobre, est interprété par Aniello Arena, au jeu brillant, incarcéré depuis 20 ans – il purge une peine à perpétuité pour meurtre et jouait lors de permissions. Que veulent démontrer les frères Taviani avec cette oeuvre ? Que des criminels sont capables de prouesses théâtrales – ou, plus précisément, cinématographiques ? Criminels ou non, ces émouvants détenus restent des hommes, et l’emploi d’amateurs face à la caméra est loin d’être un procédé marginal, certains réalisateurs en ayant fait une marque de fabrique – comme Robert Bresson, pour ne citer que lui. Quiconque aimant le jeu trouvera du plaisir face à cette relecture de Jules César où Rome et ses alentours sont remplacés par les lieux confinés mais pas si incongrus d’une prison. Certains des prisonniers montrent des qualités fantastiques de comédien, et orienter le film sur l’évasion mentale provoquée par le théâtre, et par extension, l’art, seulement aperçue à de rares reprises ici, aurait donné bien plus de force à César doit mourir. Une belle oeuvre, mais diminuée par le choix de la fiction pure.

3 étoiles

 

César doit mourir

Film italien
Réalisateur : Paolo Taviani, Vittorio Taviani
Avec : Cosimo Rega, Salvatore Striano, Giovanni Arcuri, Antonio Frasca
Titre original : Cesare deve morire
Scénario de : Paolo Taviani, Vittorio Taviani, Vittorio Tavinia, d’après Jules César de William Shakespeare
Durée : 76 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 17 octobre 2012
Distributeur : Bellissima Films


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Article rédigé par Dom

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